Pourquoi nous aimons l'énergie nuclaire

«Et si le nucléaire… ?» Depuis qu’Angela Merkel a une nouvelle fois mis en doute l’opportunité de l’«Atomausstieg» (la sortie de l’atome) pour son pays, le sujet n’est plus tabou dans la presse allemande. Le grand magazine Der Stern a même édité sur la page d’accueil de son site web un article de Francis Sorin, directeur du Pôle information de la Société française d’énergie nucléaire (SFEN), sous le titre «Pourquoi la France aime l’énergie nucléaire». En voici la version française.

Contrairement aux Allemands, les Français n’éprouvent pas de prévention ou de timidité particulière à l’égard de l’énergie nucléaire. Avec 58 réacteurs en service, la France est au premier rang mondial pour la proportion d’électricité nationale produite par le nucléaire. Dans l’article ci-après, un spécialiste français porte-parole de cette énergie, Francis Sorin, explique les raisons de cet attachement au nucléaire, que même des incidents comme la fuite d’uranium récemment survenue ne remettent pas en cause (Der Stern).

L’annonce par le président Nicolas Sarkozy, début juillet, du projet de construction d’un nouveau réacteur nucléaire devant entrer en service en 2017 n’a pas provoqué de réaction particulière dans l’opinion française. Celle-ci a depuis longtemps intégré le fait que le nucléaire est aujourd’hui, et demeurera demain, le pilier essentiel de l’approvisionnement en électricité du pays. 58 réacteurs sont en service actuellement, assurant près de 80% de la production électrique de la France. Deux unités supplémentaires s’y ajouteront dans les années 2010 pour préparer le renouvellement progressif du parc nucléaire et ajuster l’offre d’électricité à l’évolution des besoins.

C’est une donnée géographique très simple qui explique pour l’essentiel le choix nucléaire français. Contrairement à beaucoup de ses voisins, comme l’Allemagne par exemple, la France ne dispose pas dans son sous-sol de matières premières énergétiques en quantités significatives. C’est pour pallier ce handicap que notre pays a décidé, au lendemain du choc pétrolier de 1973, de recourir au nucléaire pour produire son électricité.

Grâce à l’uranium, dont elle a acquis la maîtrise d’importantes ressources dans plusieurs régions du monde et grâce au complément apporté par l’hydraulique, la France est devenue capable de produire son courant électrique par ses propres moyens, sans dépendre des contraintes extérieures. Dans un contexte mondial marqué par la raréfaction et le renchérissement considérable des combustibles fossiles, le nucléaire constitue ainsi pour la France un atout majeur. Il la met à l’abri des chocs de prix, des turbulences, des crises pouvant affecter les marchés internationaux de l’énergie et lui assure l’indépendance dans ce secteur essentiel qui est celui de l’approvisionnement en électricité.

Outre cet avantage stratégique déterminant, le nucléaire s’est révélé une très bonne affaire économique pour le pays. Grâce à des coûts de revient compétitifs, il permet aux Français de bénéficier de tarifs d’électricité parmi les moins chers d’Europe, et qui incluent les charges futures pour le démantèlement  des centrales et la gestion des déchets.

Par ailleurs, la France a bâti une industrie nucléaire complète dont le savoir-faire est reconnu. Cela lui vaut de nombreuses commandes à l’exportation représentant en moyenne, chaque année, de l’ordre de 6 milliards d’Euros. Ces exportations soutiennent des milliers d’emplois et constituent un des postes bénéficiaires les plus importants de la balance commerciale du pays.

Bilan environnemental…

Sur le plan environnemental, les bilans effectués tout au long des années montrent que le nucléaire préserve les milieux naturels de toute pollution dommageable, radioactive ou chimique. Les émissions de dioxyde de soufre et d’oxyde d’azote ont ainsi été réduites en France de 70% à mesure que les centrales nucléaires ont remplacé les ouvrages à combustibles fossiles.
Enfin, atout écologique majeur, le nucléaire n’émet pratiquement pas de CO2, le principal gaz responsable du réchauffement climatique. Par rapport à un parc électrogène fossile, le parc nucléaire français évite ainsi chaque année le rejet de plus de 380 millions de tonnes de CO2, contribution non négligeable à la préservation du climat de la planète.

Il reste bien sûr que le nucléaire présente des risques. Le tout est de savoir s’ils entrent dans la catégorie des risques acceptables. Concernant les déchets à vie longue, dont le volume est très faible, un consensus international existe pour estimer que le stockage en couche géologique est une solution robuste car permettant de les isoler de la biosphère le temps que leur radioactivité ait diminué à un niveau négligeable. La France travaille à un tel stockage, qui offre la garantie pratiquement totale de n’imposer à nos descendants aucune nuisance inacceptable.

Le risque d’accident apparaît lui aussi correctement maîtrisé. Certes, des incidents se produisent dans les ouvrages nucléaires comme dans n’importe quelles autres installations industrielles. La fuite d’eau contenant de l’uranium intervenue le 9 juillet dans une entreprise implantée sur le site nucléaire du Tricastin, dans le Vaucluse, en est un exemple d’actualité. Cela a provoqué une légère pollution de deux cours d’eau mais aux conséquences radiologiques négligeables, selon les premières constatations de l’Autorité de sûreté.

…Et sanitaire

Lorsque l’on dit que le risque zéro n’existe pas cela s’applique aussi,  évidemment, au nucléaire. Mais s’il ne faut pas minimiser les risques potentiels présentés par l’utilisation de cette énergie, il faut aussi lui reconnaître, globalement, une sûreté très performante. La catastrophe de Tchernobyl, très liée au contexte de l’URSS et à sa technologie, ne remet pas en cause le bilan d’un demi-siècle d’exploitation mondiale des grandes sources d’énergie. Ce bilan montre que c’est le nucléaire qui occasionne le moins de dommages à la sécurité et à la santé des individus.

En France, les centrales nucléaires n’ont fait aucune victime. Un excellent bilan de sûreté peut également être dressé en Allemagne. Certes, un accident reste possible. Mais sa probabilité est infime et tout indique que ses conséquences resteraient limitées, tant pour les personnes que pour l’environnement. Les craintes formulées par certains groupes écologistes allemands selon lesquels le parc électrique français pourrait menacer, par delà les frontières, les populations de plusieurs Laender  paraissent tout à fait infondées.

Au vu de ces considérations, on peut comprendre l’étonnement et le regret de bien des responsables français face à la décision de l’Allemagne d’abandonner le nucléaire. Le pays est au top niveau de la technologie nucléaire mondiale. Son parc nucléaire marche comme une horloge, évitant chaque année le rejet de dizaines de millions de tonnes de CO2… et l’on va se priver délibérément d’un tel outil alors que le réchauffement climatique menace!

Les regrets sont d’autant plus vifs, de ce côté-ci du Rhin, que les deux pays ont conjugué leur savoir-faire avec succès pour mettre au point l’EPR, le réacteur de 3e génération le plus avancé sur le marché mondial. Selon les évolutions futures de la situation en Allemagne, d’autres pistes de coopération seraient possibles, dans l’intérêt de tous. L’enjeu majeur pour la planète est de rendre la production d’énergie libre de CO2. Les énergies renouvelables seront très loin d’y suffire. L’apport du nucléaire apparaît pour cela indispensable. Dans ce contexte, il est évident qu’une coopération prolongée et renforcée entre l’Allemagne et la France serait un facteur très positif à l’échelle mondiale pour faire progresser le nucléaire et le rendre encore plus sûr, non proliférant et durable.

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