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Mal connue, mal définie, peu habitée, pas vraiment en concurrence pour être la première destination de vacances, l’Arctique, réchauffement climatique aidant, pourrait devenir le nouvel eldorado énergétique. Il abriterait près du quart des réserves mondiales en hydrocarbures, un pactole que certains pays entendent «sécuriser» au moyen d’armes nucléaires.
Si le coût de l’exploitation de pétrole et de gaz dans l’Arctique reste élevé, le réchauffement climatique, qui y augmente deux fois plus vite que dans le reste du monde, devrait permettre une bonne maîtrise des coûts, en particulier si le prix du baril se maintient à ses niveaux actuels.
L’Arctique peut être découpé en trois zones. La première englobe les terres à l’intérieur du cercle arctique. La deuxième délimite les régions trop inhospitalières pour permettre aux arbres de pousser. La troisième, finalement, fait référence à la température, qui peut atteindre des pointes maximales de 10° C en juillet, le mois le plus chaud dans cette zone immense.
Car il faut bien parler d’immensité: un sixième de la superficie terrestre, soit 30 millions de kilomètres carrés, qui s’étend sur vingt-quatre fuseaux horaires. Cette énorme surface n’abrite cependant que 5 millions d’habitants qui représentent une trentaine de peuplades parlant autant de langues différentes. Bien que l’ensemble de l’Arctique recouvre un formidable potentiel en termes d’énergie et de matières premières, l’activité économique se concentre aujourd’hui dans deux pays: les Etats-Unis, avec l’Alaska, et la Russie.
Le quart des réserves mondiales
L’arctique russe bénéficie de la plus vaste superficie de plate-forme continentale au monde. Selon certaines estimations, 25% des réserves mondiales en hydrocarbures y seraient concentrées, soit 136 milliard de tonnes d’équivalent pétrole. Les réserves de gaz de la mer de Barents totaliseraient 10 000 milliards de mètres cube de gaz, celles de Timan-Pechora 600 milliard de mètres cubes et 1,5 milliard de tonnes de pétrole, celles de la République de Komi 520 million de tonnes d’équivalent pétrole.
L’Etat russe, qui contrôle la majeure partie des ressources pétrolières et gazières du pays, s’est fixé comme objectif à l’horizon 2020 que 25% de la production de pétrole et 33% de la production de gaz proviennent de l’Arctique. Il dispose dans cette partie du monde de nombreuses infrastructures: les ports de Saint Pétersbourg, Murmansk et Kaliningrad, ainsi que des facilités de chargement en hydrocarbures sur la côte balte. Il y possède aussi de multiples infrastructures militaires, en particulier la flotte du Nord, basée à Severomosk, près de Murmansk, avec des ports à Kola, Motovskiy, Gremikha et Ura Guba. Cette flotte regroupe deux tiers des sous-marins nucléaires du pays et une grande partie de sa force de frappe.
Les gisements les plus prometteurs sont les trois projets sur l’île de Sakhalin, ceux des mers de Pechora, de la Baltique, de Barents et d’Okhotsk, auxquels s’ajoute le site de Shtokman, à 550 kilomètres au nord de Murmansk, dans la mer de Barents. Il est bien positionné pour servir la côte Est des Etats-Unis. Il s’agit du plus grand réservoir offshore de gaz au monde et Gazprom devrait l’exploiter à partir de 120 puits.
Pactole canadien
Entreprise d’Etat, Gazprom est à la recherche d’un partenaire avec une participation minoritaire à hauteur de 100 milliards de dollars. Les groupes américains Chevron et Conoco Phillips, les Norvégiens Norsk Hydro et Statoil, ainsi que le français Total ont manifesté leur intérêt. Plusieurs sources donnent Total favori, car il offrirait à Gazprom la possibilité tant recherchée de s’intégrer en aval par le biais d’une participation dans un terminal de gaz liquide en Louisiane.
Le gisement de Sakhalin 1 fait l’objet d’une exploitation commerciale depuis 2001. Ses réserves exploitables sont estimées à 2,3 milliards de barils de pétrole et 485 milliards de mètres cubes de gaz. Le groupe Exxon Neftgaz en est l’opérateur. Shell et Gazprom sont les opérateurs conjoints de Sakhalin 2, qui présente une capacité annuelle d’extraction de 9,6 millions de tonnes de gaz liquide naturel. Sakhalin 3, 4, 5 et 6 sont en cours d’évaluation, tout comme plusieurs projets dans les mers de Pechora, de la Baltique, de Barents et d’Okhotsk.
L’Arctique nord-américain présente lui aussi un vaste potentiel. Les gisements canadiens les plus prometteurs se trouvent dans le Delta du Mackenzie. On y a identifié trois champs d’une capacité globale de 6000 milliards de mètres cubes de gaz. Il reste à construire un oléoduc pour les évacuer. BP Amoco, très impliqué en Alaska, développe les gisements Northstar et Liberty, dont le potentiel est estimé à près de 6 milliards de barils de pétrole.
L’Arctique européen abrite lui aussi un beau trésor énergétique. Le groupe norvégien Statoil produit du gaz à partir du gisement de Snow White, à Hammerfest. Il abriterait 160 milliards de mètres cubes. La société italienne ENI produit pour sa part du pétrole à partir du champ de Goliat, dont les réserves sont estimées à 250 millions de barils. Leur exploitation se fera par un système sous-marin relié à une station terrestre qui télécommandera l’unité de production.
Sécuriser les routes maritimes
L’extraction des réserves est une chose, leur transport vers les consommateurs en est une autre. Le projet ARCOP de l’Union européenne propose des solutions pour acheminer le pétrole par la route maritime du Nord qui contourne la Russie, ce qui permettrait d’alimenter le vieux continent avec le produit de l’extraction des mers de Pechora et de Kara. Encore faudra-t-il préalablement sécuriser la route maritime du Nord, qui n’est actuellement utilisée que par la flotte russe.
Le gouvernement conservateur, après sa victoire aux dernières élections, s’est aussitôt engagé à construire des brise-glaces armés et des ports. Il est vraisemblable que les Canadiens ne répèteront pas l’erreur cuisante de 1997, lorsqu’ils on vendu au citoyen américain Pat Broe le port désaffecté de Churchill, au Manitoba, pour 10 dollars canadiens. On estime aujourd’hui la valeur du trafic annuel de marchandise susceptible d’y passer en 2020 à 100 millions de dollars.
Contrairement à l’Antarctique, aucun traité international ne couvre les activités dans l’Arctique. Or plusieurs pays y ont des prétentions: le Canada, le Danemark, la Finlande, l’Islande, la Norvège, la Russie, la Suède et les Etats-Unis. Les traités internationaux autorisent les Etats à émettre des prétentions sur les fonds marins à 350 miles de leur côte, qui est déterminée par la limite de leur plate-forme continentale.
Manoeuvres nucléaires
Or, à ce jour, aucun pays n’a fourni la preuve que sa plate-forme continentale lui permettait de revendiquer l’ensemble des réserves du Pôle. Tant que cela ne sera pas fait, la zone neutre autour du pôle restera administrée par l’Autorité Internationale des fonds marins. En mars 2006, l’Etat-major de la marine russe a annoncé qu’elle étudiait la possibilité de faire garder les gisements par des sous-marins nucléaires équipés d’ogives, nucléaires elles aussi. Le Canada, quand à lui, a dévoilé un plan de défense du passage du nord-ouest d’un coût de 5 milliards de dollars.
L’Arctique offre un terrain de manœuvres pour les sous-marins et pour les bombardiers porteurs d’ogives nucléaires, tant pour les Russes que pour les Américains, raison pour laquelle ces derniers et leurs alliés canadiens ont mis en place le système d’alerte «North Warning System». L’Etat-major américain a évoqué dans un «livre blanc» sa stratégie de destruction des missiles balistiques russes dans l’Arctique si un conflit conventionnel venait à éclater en Europe. Le Canada, lui, a laissé entendre qu’il était soucieux de ne pas être attiré dans un conflit par une administration américaine à la gâchette facile.
Dans une période de raidissement des positions des uns et des autres, avec pour enjeu la valorisation d’un immense pactole énergétique, les tensions autour de la propriété des réserves de l’Arctique pourraient exercer rapidement une influence majeure sur la géopolitique mondiale.
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