La sortie du nucléaire, une promenade de santé ? Mieux vaudrait, avant de calquer notre politique énergétique future sur celle de l’Allemagne, prendre la mesure de ce qui est en train de s’y préparer : le retour triomphal des énergies fossiles des siècles passés et une fragilisation endémique de l’approvisionnement.
Plus vert que moi, tu meurs ! Dès le lendemain du drame de Fukushima, Horst Seehofer, le président de la CSU, branche bavaroise de la CDU d’Angela Merkel, se précipitait à Moscou pour parler énergie avec Vladimir Poutine. De retour à Munich, il exigeait publiquement la fermeture de toutes les centrales nucléaires du pays d’ici à 2020, en indiquant que les Russes fourniraient le gaz nécessaire pour les remplacer.
Plus qu’une volte-face, c’est une petite révolution. La CSU était jusqu’ici le principal soutien à la production nucléaire dans le pays. Et pour cause ! L’atome couvre 58% des besoins en électricité de la Bavière, contre 22% en moyenne nationale, soit l’équivalent d’un peu plus que la totalité de la consommation suisse. Ainsi, au cours des dix prochaines années, cette production nucléaire bavaroise sera progressivement remplacée à hauteur de 90% par des centrales à gaz et 10% de photovoltaïque.
Pollution indirecte
De fait, la sortie du nucléaire allemand, entérinée ce week-end par le gouvernement de Berlin, avait commencé il y a une quinzaine d’années, avec la mise en œuvre d’un formidable programme de développement éolien et photovoltaïque. A la place de nouveaux réacteurs initialement prévus, on a construit 21'000 éoliennes géantes qui recouvrent aujourd’hui des dizaines de kilomètres carrés des régions côtières de la mer du Nord et hérissent d’innombrables collines et plaines germaniques.
Cette capacité éolienne a coûté près de 80 milliards d’euros. Elle a fourni l’an dernier 6% de l’électricité consommée. Ce n’est pas rien, certes. Mais il y a un problème de taille si l’on considère que le recours au vent a pour but de protéger l’environnement : une dizaine de centrales à charbon doivent être tenues en réserve pour compenser les fluctuations de la production éolienne et éviter des perturbations sur le réseau de distribution. Autrement dit, tout développement important de la capacité éolienne se traduit indirectement par une augmentation massive des rejets de CO2 et autres polluants des centrales fossiles.

On retrouve le même inconvénient dans le domaine photovoltaïque, qui a fait l’objet d’un immense effort de développement égale-ment. Dès lors que l’arrivée d’une couverture nuageuse réduit jusqu’à 60% la production des capteurs, il faut aussi disposer de capacités fossiles pour faire l’appoint d’heure en heure de nuit et de jour suivant les caprices de la météo. Plus de 100 milliards d’euros ont été déjà investis dans la production d’électricité solaire, qui n’a pour autant couvert en 2010 que 2% des besoins en électricité du pays.
Aujourd’hui, avec une part de 43% de charbon dans la production de courant, les rejets de CO2 dépassent 600 grammes par kWh d’électricité produite en Allemagne, contre 90 grammes en France. Et avec l’abandon accéléré du nucléaire, cette contribution allemande aux déséquilibres climatiques va augmenter dans des proportions considérables.
« La fin de la société… »
A ces risques environnementaux s’ajoutent les répercussions socio-économiques de la sortie rapide de l’atome. Consulté au début de ce mois de mai par la Commission parlementaire pour la recherche et la formation, le Bureau allemand d’évaluation des choix technologiques (TAB) ne mâchait pas ses mots : une situation de pénurie progressive et endémique « sonnera la fin de la société civilisée ».
Le rapport du TAB souligne qu’une simple perturbation de l’approvisionnement sur deux jours entraînerait d’énormes problèmes pour assurer le bon fonctionnement de l’infrastructure de base nécessaire (transports, santé, eau, etc.). Une panne de courant plus longue conduirait même à une « catastrophe nationale ». Deux semaines de perturbations provoqueraient « un effondrement général de la société en raison de l’interpénétration quasi intégrale de la vie et de l’économie avec les appareils électriques ».
De son côté, le ministre de l’Economie, Rainer Brüderle, s’inquiète de la fragilisation du réseau de transport consécutif au développement des sources renouvelables. Le pays ne dispose pas des capacités suffisantes pour amener le courant produit sur les sites éoliens du nord vers les grands consommateurs industriels du sud. Un rapport de son ministère souligne que le réseau est désormais à la limite de stabilité et sous la menace de s’effondrer par surcharges soudaines. Aux nouvelles capacités de production, essentiellement fossiles, l’Allemagne va devoir ajouter rapidement de nouvelles lignes de transport sur de longues distances.
La première puissance industrielle d’Europe est entrée en situation de précarité énergétique.

« Il n'existe aucune raison valable pour renoncer à construire de nouvelles centrales! » Après avoir évalué les enseignements des événements de Fukushima, l’autorité de sûreté britannique maintient son feu vert au développement de la capacité nucléaire dans le pays.
L’Office for Nuclear Regulation (ONR) a présenté le 18 mai 2011 un rapport intermédiaire sur les événements de Fukushima-Daiichi et leur incidence sur la construction et l'exploitation de centrales nucléaires en Grande-Bretagne. Il tire la conclusion qu'il n'est pas nécessaire de prévoir de mesures restrictives concernant l'exploitation des installations en activité : « l'accident japonais se situe bien au-delà des phénomènes naturels exceptionnels qui pourraient frapper la Grande-Bretagne ».
Selon ce rapport, l'industrie nucléaire britannique a réagi de façon « responsable et adaptée » à l'accident de Fukushima, et les entreprises ont fait preuve de «capacités de décision en matière de sûreté, empreintes d'une solide culture de sécurité ». Il souligne qu'il n'existe aucune raison valable de remettre en cause les critères de choix de sites nucléaires en Grande-Bretagne ou de limiter le nombre de tranches à construire sur un même site.
De son côté, le gouvernement d’Afrique du Sud, où les infrastructures énergétiques peinent à satisfaire une demande croissante, a indiqué jeudi dernier qu'il maintenait lui aussi ses projets d'investissements dans le nucléaire malgré la catastrophe de Fukushima.
Le pays, qui a connu une crise énergétique majeure en 2008 faute de pouvoir répondre à la demande d'électricité, ne dispose pour l'instant que d'une centrale nucléaire près du Cap (sud-ouest), qui couvre 6,5% de sa production totale. Pour diminuer sa dépendance au charbon (près de 90% aujourd'hui) et empêcher une nouvelle crise d’approvisionnement, Pretoria veut se doter d’une capacité de production supplémentaire de 40'000 mégawatts, dont 10'000 MW nucléaires.
Rédaction: Jean-Pierre Bommer
Sources : Le Figaro, Solidarité & Progrès, Der Spiegel, FRE
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Communiqué de presse

Fermer la porte à une technologie qui, après 40 années d’utilisation, présente un bilan économique, énergétique et environnemental exceptionnel : telle est la volonté du Conseil fédéral, qui propose d’exclure l’énergie nucléaire de nos approvisionnements futurs. La Fédération romande pour l’énergie (FRE) déplore une décision prise dans la précipitation et sans alternative réaliste.
Une hausse annuelle de la consommation d’électricité de 4%, les phénomènes de sécheresse répétés qui se traduisent ce printemps par des chutes de production d’électricité hydraulique de 10% à 20%, ou les risques de pénurie qui apparaissent sur le marché européen, n’ont pas fait le poids à Berne face à l’émotion déclenchée par l’accident nucléaire de Fukushima, dont on sait qu’il n’a pratiquement aucune chance de se produire en Suisse et qui n’a pas fait une seule victime à ce jour.
Compte tenu de l’importance vitale de la sécurité d’approvisionnement en électricité pour notre pays, une telle décision devait être précédée d’une analyse complète de l’accident japonais et de ses conséquences et, surtout, d’une évaluation minutieuse et chiffrée des solutions de remplacement. Il est totalement illusoire de prétendre que l’utilisation rationnelle de l’énergie et le développement des sources renouvelables permettront de se substituer à une production nucléaire qui était appelée à couvrir près de la moitié de notre électricité à l’horizon 2030.
L’électricité n’est pas gaspillée en Suisse. Le potentiel d’économies a été déjà largement épuisé. Les nouvelles sources d’énergie renouvelable constituent un appoint bienvenu. Intermittentes, elles ne pourront toutefois jamais se substituer à une production nucléaire de base, qui alimente les emplois et les ménages à chaque instant du jour et de la nuit. Doris Leuthard a elle-même rappelé que le nouveau renouvelable produisait aujourd’hui moins de 1% de nos besoins en électricité.
Le gaz naturel constitue la seule alternative quantitative au nucléaire. Mais il faudra le cas échéant mettre en service une centrale de type Chavalon tous les deux ans pendant plus de 20 ans pour remplacer la part du nucléaire dans nos approvisionnements futurs. Comment concilier une telle solution avec la protection du climat et les incertitudes qui pèseront sur les prix et sur les sources d’approvisionnement en gaz naturel ?
Autant de questions auxquelles il aurait fallu répondre avec cohérence et sérieux avant de prendre une décision irréversible. La FRE en appelle au Parlement pour remettre le pays sur la voie d’une politique énergétique cohérente et responsable.
jpb/mai 2011
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