Comment un membre fondateur et ancien leader de Greenpeace est-il devenu l’un des plus ardents partisans d’un développement à grande échelle de l’énergie nucléaire? Le rédacteur en chef adjoint de la revue 21th Century Science & Technology, Gregory Murphy, a posé la question à Patrick Moore, lors d’un entretien à bâtons rompus paru le 16 mai 2008 dans le magazine Executive Intelligence Revue. Nous en publions ci-après quelques extraits en adaptation française.
Murphy : J'aimerais commencer par votre cheminement qui vous a conduit de la fondation de Greenpeace à votre position actuelle.
Moore : En fait, les premières campagnes antinucléaires de Greenpeace étaient dirigées contre les armements. C'était à la fin des années 60 et au début des années 70. C'était aussi en plein milieu de la guerre du Vietnam. Il y avait la guerre un peu partout à l'époque et nous craignions un éclatement d'un conflit nucléaire généralisé. Nous voulions stopper cette éventualité. Nous étions totalement focalisés sur l'aspect militaire et, rétrospectivement, je crois que nous avons eu le tort de mettre dans le même panier l'énergie et les armes, comme si tout le nucléaire était démoniaque. C’était aussi faux que de confondre aujourd'hui la médecine nucléaire et les armes atomiques. Il est évident que la médecine favorise une utilisation bénéfique de la radioactivité et de la technologie nucléaire. Elle diagnostique les maladies et guérit des millions d’individus. La plupart des substances radioactives qu’elle utilise, les isotopes médicaux, sont produits dans des réacteurs nucléaires. L'une des autres bonnes utilisations des réacteurs est évidemment la production d'électricité à des fins pacifiques. Nous devrions favoriser les applications bénéfiques de l'énergie nucléaire, comme nous faisons avec les autres technologies. C’est ce qui m'a conduit à revoir mes positions, alors que je commençais à me préoccuper des changements climatiques: comment faire pour s'en sortir en sachant que 86% de l'énergie mondiale sont dérivés des agents fossiles? Il a toujours été pour moi évident que l’éolien et le solaire n’étaient pas en mesure d’y apporter des réponses effectives. Il fallait combiner la puissance nucléaire et le potentiel hydroélectrique. Or, pendant ces vingt-cinq dernières années, les mouvements écologistes se sont efforcés de stopper les grands projets tant hydrauliques que nucléaires, alors que ce sont clairement les deux sources de substitution aux énergies fossiles les plus réalistes pour la production d’électricité. Nous étions dans l’erreur et je m’efforce aujourd’hui de faire de mon mieux pour la corriger.
Murphy : Vous avez souligné le rôle du nucléaire dans le changement climatique, et c'est sur cet argument que l'American Nuclear Society fonde sa campagne pour la relance du nucléaire. En fait, nous avons surtout besoin des nouvelles technologies nucléaires pour assurer le développement.
Moore : J'ai toujours été favorable au développement, peut-être même avant de changer mon point de vue sur l'énergie nucléaire. La pauvreté est le pire problème environnemental dans le monde. L'électricité est primordiale pour beaucoup de choses. Elle est étroitement corrélée avec l'alphabétisation, l'éducation et la santé. Les populations privées d’électricité ont une espérance de vie moyenne de 44 ans seulement. Ma contribution au film documentaire «The Great Global Warming Swindle» (La grande entourloupe du réchauffement global) visait à souligner l'effet néfaste que le mouvement écologiste exerçait sur les pays en développement, en voulant les priver des technologies que nous utilisons nous-même quotidiennement. C’est un point clé dans l'équation du développement. Prenez le cas du barrage des Trois Gorges. Il faut peser le pour et le contre. Les Chinois ont dû construire des villes pour accueillir un million de personnes déplacées quand ils ont inondé la vallée. Mais ce barrage produira suffisamment d'énergie pour empêcher la construction de quarante grandes centrales à charbon. Il évitera les inondations qui tuaient jusqu’ici périodiquement des dizaines de milliers de personnes. Cet ouvrage permet aussi de contrôler l’irrigation des terres voisines, qui produiront ainsi deux fois plus de nourriture.
Murphy : Un autre bouc émissaire du mouvement écologiste, c'est la société industrielle.
Moore : Oui, mais à tort. L'environnement aux Etats-Unis est relativement propre, surtout par rapport à trente ans en arrière. Les rivières ou l'air ne se portent pas si mal, les forêts et les terres agricoles se trouvent en général dans de bonnes conditions. Ce n’est pas le cas dans les régions pauvres et désindustrialisées, marquées par l’érosion, la déforestation, la destruction des espèces.
Murphy : Le mouvement écologiste dans son ensemble semble avoir changé de nature. Il est désormais dirigé par des factions réfractaires à la science et à tout débat rationnel.
Moore : L’écrivain Michael Crichton souligne à juste titre que l’écologisme est devenu grosso modo un mouvement religieux. Il véhicule des croyances plutôt que de la science. Bien que je sois le premier à accepter les croyances religieuses, j’estime qu’elles n’ont pas leur place dans l’élaboration de la politique écologique, qui doit être prioritairement fondée sur la science. Le mouvement écologiste a été pris en otage par les activistes politiques. Ces derniers préfèrent utiliser la peur, la désinformation et la propagande comme moyens de persuasion. J’estime pour ma part que la science et la logique sont essentielles pour aider les gens à comprendre ce qui se passe et qu'elles constituent les meilleurs moyens de résoudre les problèmes.
Murphy : Le public se préoccupe toujours beaucoup de la question des déchets radioactifs.
Moore : La solution réside dans leur recyclage. La France ou le Japon ont déjà trouvé une solution à ce problème; l'Angleterre et la Russie le font aussi. J’insiste sur l’utilité du retraitement. Ces soi-disant «déchets» constituent en fait l’une des principales sources d'énergie du futur. Grâce au retraitement du combustible des centrales après utilisation, nous pouvons transformer d'un seul coup cinq ans de déchets nucléaires en cinquante années d'énergie (…).
|