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Septembre 1998
Vie courte, consommation
nulle, mortalité infantile

Le paradis
écologique sur Terre existe. C'est le Bhoutan,
petit royaume situé sur les flancs sud de l'Himalaya.
Economie exclusivement rurale, pas de ville corruptrice,
pas de voitures ou presque, pas d'antennes de TV susceptibles
d'inoculer les méchants virus de la consommation
à une population qui a le bon goût de ne
pas trop vieillir ni de se multiplier. Tout pour plaire
à l'influente association écologiste Worldwatch
lnstîtute, qui tient ce pays pour le modèle
de la société mondiale qu'elle préconise.
Lester Brown est une figure qui compte dans l'émergence
du nouveau pouvoir planétaire des organisations
non gouvernementales. Depuis quinze ans environ, son
Worldwatch Institute publie chaque année un document
intitulé State of the World. Cet "état
de la planète" se veut un inventaire annuel
de l'environnement global. Ce texte est gracieusement
distribué aux parlementaires du monde entier
et aux participants du Forum économique de Davos.
Selon son éditeur, cette publication, traduite
dans vingt-sept langues, sert de document de référence
dans plus de 500 universités américaines.
Pour Brown et les siens, "la guerre entre l'homme
et la Terre est engagée. La capacité de
la planète ne résistera pas au rythme
effréné de la croissance démographique".
Ils se réfèrent constamment aux limites
de la croissance de la production agricole, notamment
en Inde et en Chine, se souciant peu d'être démentis
par les faits depuis plus de dix ans: l'Inde, à
qui le Worldwatch promettait la catastrophe et l'implosion
pour cause de famine, est aujourd'hui le cinquième
producteur mondial de blé et exportateur net
de produits alimentaires.
En Chine, le rendement et la production de céréales
ont été multipliés par quatre entre
1960 et 1997, pour une surface cultivée constante.
A l'échelle mondiale, entre 1981 et 1996, soit
approximativement depuis que Lester Brown diffuse son
"état de la planète", le rendement
des cultures a augmenté de 30% et la production
de 23%, pour une surface cultivée en baisse de
4%.
Ces chiffres ne troublent nullement l'institut et les
autres organisations qui poursuivent inlassablement
la propagation d'une vision apocalyptique de notre avenir.
Pour Lester Brown, il n'y a pas de salut en dehors du
développement durable tel qu'il le conçoit:
"Nous devons faire le contraire de ce qui se pratique
depuis la révolution industrielle, c'est-à-dire
repenser la société à la lumière
des contraintes et des limites naturelles. Dans la mesure
où l'on ne peut plus augmenter l'offre, il faut
agir sur la demande pour la contrôler et la faire
baisser", déclarait-il dans un publi-reportage
offert par Le Monde en février 1996.
Le problème, pour ces associations qui veulent
faire le bonheur des gens malgré eux, c'est qu'il
subsiste des structures démocratiques dans le
monde, avec des représentations politiques, des
syndicats et des associations de consommateurs. D'où
leurs efforts, comme nous l'avons évoqué
dans une précédente Lettre de l'énergie,
pour démanteler les Etats nations. En attendant
l'avènement de la société unidimensionnelle
de ses vux, le Worldwatch a cependant déniché
un exemple existant d'une société durable
parfaite.
Le Bhoutan, situé à l'est du Népal,
est qualifié de "paradis préservé"
par Lester Brown. Les écologistes n'aiment pas
trop qu'on les accuse de promouvoir un retour au moyen
âge. Pourtant, comment qualifier autrement l'idéal
bhoutanais qui nous est proposé? La situation
y est similaire, ou pire, que chez les plus mal lotis
des pays africains. L'espérance de vie y est
de 50 ans, le PNB par habitant de 170 dollars, chiffres
parmi les plus bas du monde.
Au paradis des écologistes, les enfants tombent
comme des mouches. Ou plutôt, les enfants tombent
plus vite que les mouches, celles-ci étant protégées
contre les pesticides. Ils meurent principalement de
paludisme et de tuberculose. Au Bhoutan, la mortalité
infantile est de 138 pour mille, contre 5 pour mille
en Europe occidentale où l'on refuse toujours
de se plier aux "limites naturelles de la planète".
Comment fait-on pour supporter ces conditions paradisiaques?
On commence par sauvegarder et promouvoir un système
rural sans concentration urbaine néfaste. La
très grande majorité des habitants vit
dans des hameaux de quatre ou cinq huttes, reliés
entre eux par des chemins de montagne où ne peuvent
passer que des mules.
Le gouvernement a fait la joie des ONG en décidant
d'ouvrir un corridor pour éléphants en
plein milieu des terres agricoles les plus riches. Pour
le Worldwatch, magazine bimestriel de l'institut,
ce pays est "la plus rare des exceptions: une nation
pauvre où la plupart des besoins sont satisfaits,
où la culture traditionnelle est préservée
et où l'environnement est encore intact".
On apprend aussi que pour le roi Jigme Singye, "Le
développement industriel et l'accumulation de
richesses devraient être secondaires par rapport
à la construction de la société
durable".
Mais pour être sûr que la population soit
d'accord avec cet idéal de société,
le souverain éclairé a fait retirer toutes
les antennes de télévision sur le territoire.
Une décision saluée par le Worldwatch:
"Lorsque les gens sont exposés aux choses
qui sont disponibles dans les pays industrialisés,
ils veulent souvent les avoir". Pour éviter
ce regrettable manque de conscience écologique,
autant laisser ces habitants du paradis dans l'ignorance.
Bien sûr, Lester Brown et ses collaborateurs n'ont
pas choisi de vivre dans les conditions idylliques offertes
par le Bhoutan. Pour assumer leur apostolat dans les
meilleures conditions possible, ils sont bien obligés,
à leur corps défendant, de se conformer
aux odieuses habitudes occidentales avec voiture, télévision,
voyages en avion dans le monde entier, téléphone
portable et les meilleurs hôpitaux pour soigner
leurs enfants.
Ce qui conduit la publication française Industrie
et Environnément à souligner que Lester
Brown ne croit pas vraiment à ce qu'il raconte:
"Que recherche-t-il lorsqu'il affirme qu'on ne
saurait augmenter indéfiniment la production
de nourriture? Ne fait-il pas le jeu de certains cartels
ayant intérêt à contrôler
la pénurie?"
Eclairage
La société à
2000 watts
La société à 2000 watts: telle
est la nouvelle grande idée lancée par
des milieux écologistes suisses, relayés
par le groupe de travail "Stratégie environnement"
des écoles polytechniques. Il s'agit, pour autant
que l'on ait correctement déchiffré ce
projet (on y parle de consommation de watts alors que
le watt est une puissance), de ramener la consommation
moyenne par habitant de 6000 à 2000 watts par
année. Autrement dit, de diviser par trois les
quantités d'énergie mises à la
disposition des individus.
Etant donné que les 6000 watts actuels sont une
moyenne, les quantités d'énergie effectivement
consommées par les directeurs d'association et
autres professeurs qui défendent ce projet de
rationnement sont au moins deux à trois fois
supérieures
On se réjouit donc qu'ils nous montrent l'exemple
en renonçant à leur résidence secondaire
et à leurs voyages aux quatre coins du monde,
qu'ils remplacent leurs deux voitures par un vélo
et qu'ils emménagent dans des logements de 10
mètres carrés par occupant.
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