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Juin 1998
Le dérapage du
Conseil suisse de la science

"Il
faut sortir du nucléaire parce qu'il ne remplit
pas les conditions du développement durable".
Telle est la conclusion du premier "Publiforum"
organisé sous l'égide du Conseil suisse
de la science. Celui-ci avait sélectionné
une trentaine de citoyens issus des milieux les plus
divers, qui ont auditionné des spécialistes
de toutes tendances avant de donner un avis sur l'approvisionnement
futur du pays en énergie électrique. Si
la démarche est intéressante, le résultat,
lui, suscite bien des surprises.
Satisfaire les besoins actuels sans porter préjudice
à ceux des générations futures!
Telle est, très résumée, la définition
consensuelle du développement durable. Cette
notion, que l'on retrouve aujourd'hui à la une
des gazettes, devient beaucoup plus floue et controversée
dès qu'il est question des moyens nécessaires
pour atteindre l'objectif visé. C'est notamment
le cas des choix énergétiques, tant les
intérêts politiques et économiques
l'emportent sur toute autre considération.
Car une première question s'impose, aveuglante,
à l'écoute de cette définition
du développement durable: comment pourra-t-on
assurer l'avenir des générations futures
en préservant, voire en accentuant la tendance
actuelle qui consiste à maintenir la prépondérance
des combustibles fossiles? Car au rythme de consommation
actuel, on le sait, les réserves de pétrole
et de gaz seront quasiment épuisées dans
un demi-siècle.
Eliminer le nucléaire, comme le proposent aimablement
les citoyens du "Publiforum " - dont l'achèvement
des travaux a coïncidé avec le lancement
des nouvelles initiatives antiatomiques - revient à
écarter de la scène énergétique
la seule source abondante, avec l'hydraulique, qui ne
génère ni polution atmosphérique
ni CO2. Et le fait qu'une tonne d'uranium permette de
produire autant d'électricité qu'un million
de tonnes de charbon ou de pétrole n'est-il pas,
justement, un critère de durabilité?
En quoi le nucléaire est-il dès lors contraire
au développement durable? Voyons ce que dit à
ce propos le rapport du Publiforum. Au chapitre 3, consacré
aux déchets radioactifs, on admet la nécessité
d'un dépôt final en Suisse. Trois lignes
plus bas, il est toutefois souligné que "Les
citoyens s'opposent au stockage des déchets radioactifs".
Jolie contradiction! Ce rapport en contient d'autres
qui nous incitent à voir de plus près
comment a été organisé ce débat.
Pour chaque domaine abordé, les citoyens ont
consulté des experts. Lesquels? En matière
d'environnement, ils ont fait appel au député
écologiste genevois Chaim Nissim, ingénieur
en électronique et figure dominante du mouvement
Contratom, et à la conseillère nationale
socialiste Silva Semadeni. Autrement dit deux personnalités
politiques antinucléaires qui ne peuvent en aucune
manière se prévaloir d'une formation scientifique
dans des domaines afférents à l'environnement.
Même scénario pour le chapitre de l'éthique.
Alors que l'on s'attendait à voir apparaître
des professeurs d'éthique ou de philosophie,
dont la Suisse ne manque pourtant pas, les citoyens
ont fait appel à Joël Jakubec, président
de la très antinucléaire Association pour
l'appel de Genève, et à Regula Gysler,
membre du groupe militant - antinucléaire également
- Médecins pour l'environnement.
Enfin, après avoir entendu plusieurs autres "experts"
d'énergies renouvelables, les citoyens estiment
que ces sources sont appelées à couvrir
"une part importante des besoins énergétiques
dans un futur proche", tout en affirmant par ailleurs
"qu'aucune alternative à l'énergie
atomique n'est en vue actuellement".
Et toujours rien, dans ce rapport, sur le développement
durable. Bref, nous renvoyons celles et ceux que le
sujet intéresse sérieusement à
la dernière édition du magazine Les Cahiers
de l'électricité (No 39). Outre l'évocation
des mesures prises par la Confédération
dans ce domaine, il présente les résultats
d'une vaste étude engagée en 1993 sous
le titre Energie et durabilité.
Cette enquête s'appuie notamment sur des travaux
des Ecoles polytechniques fédérales dans
l'analyse des systèmes énergétiques.
A partir de critères d'évaluations exhaustifs,
on y a comparé les performances et les nuisances
des différentes sources. Chacune d'elles est
traitée dans la globalité de sa filière:
depuis l'extraction des matériaux de base jusqu'à
la mise en sécurité des déchets
éventuels.
Les diverses formes d'énergie nucléaire
y font l'objet d'une évaluation détaillée.
A commencer par la fission, dont les avantages résident
surtout dans l'abondance des matières premières
- sous réserve du recours à la surgénération
- et dans la densité énergétique:
un gramme d'uranium 235 se substitue à une, voire
à deux tonnes de mazout et évite le rejet
de trois à six tonnes de C02.
Autre atout de l'atome de fission: les petites quantités
de déchets produites, ce qui permet de les isoler
facilement de la biosphère, l'inexistence des
gaz à effet de serre, les prix bas et stables
du combustible, le niveau de maîtrise technologique
acquis dans les centrales occidentales, ou encore la
possibilité de réduire les déchets
à vie longue par transmutation.
Les aspects négatifs du nucléaire résident
dans le potentiel de risques en cas de conception et
de mise en uvre défaillantes (contamination
radioactive étendue et de longue durée),
et dans l'image négative qu'il conserve dans
une opinion publique déstabilisée par
l'écart important qui subsiste entre la perception
et la réalité des risques. Autre inconvénient:
la durée limitée des réserves de
combustible pour les réacteurs actuels à
eau légère et le fait que cette technologie
ne se prête pas à une exploitation dans
les pays en voie de développement, compte tenu
des investissements initiaux, de la nécessité
de grands réseaux et de la culture de sécurité
qu'elle suppose.
En résumé, l'énergie nucléaire
offre un potentiel énergétique considérable,
avec un impact négligeable sur la biosphère
lorsque la sécurité est maîtrisée.
C'est la seule forme d'énergie qui permet d'éviter
le rejet de grandes quantités de C02 à
un prix compétitif. Elle apparaît ainsi
plus durable et entraîne moins de dommages irréversibles
que les énergies fossiles.
La même étude évalue aussi soigneusement
les avantages et les inconvénients des énergies
renouvelables. Parmi les aspects positifs, elle relève
le potentiel physique du rayonnement solaire, dont l'exploitation
ne provoque pas d'émissions polluantes, ainsi
que la compétitivité croissante de certaines
applications (solaire passif, chaleur basse température).
Parmi les éléments négatifs, elle
souligne les immenses surfaces de captage nécessaires
et les coûts élevés de la production
photovoltaïque, avec un prix du kilowattheure
dix à vingt fois supérieur à celui
de l'électricité de réseau.
Autres désavantages: les très grandes
quantités d'énergie et de matériaux
nécessaires (il faudrait recouvrir plusieurs
centaines de kilomètres carrés de panneaux
de captage pour produire l'équivalent énergétique
des cinq centrales nucléaires suisses), ainsi
que les délais prévisibles pour amener
le solaire à prendre une part importante à
l'approvisionnement des consommateurs: la Suisse couvre
aujourd'hui 0,012% de la production d'électricité
avec du photovoltaïque, alors qu'elle dispose
de la plus grande surface installée de cellules
par habitant en comparaison mondiale.
Tout en dégageant quelques lignes générales
claires (voir l'encadré ci-contre), cette étude
révèle simultanément plusieurs
inconnues. Un état idéal à long
terme du monde et de la civilisation ne peut être
défini sur la base des seules connaissances
actuelles. Plusieurs questions fondamentales, dans le
domaine du développement durable, restent en
suspens: combien la Terre comptera-t-elle d'habitants
dans vingt, dans cinquante ans? De quel niveau de vie
et de quelles ressources énergétiques
disposeront-ils? Les scientifiques eux-mêmes interprètent
ces incertitudes de manière très diversifiée,
reflet de leurs convictions personnelles.
Des incertitudes qui devraient pour le moins nous conduire
à ne fermer aucune porte sur l'avenir énergétique
de ce pays.
Eclairage
L'après fossile
Une période transitoire de plusieurs dizaines
d'années sera nécessaire pour remplacer
très progressivement les agents fossiles par
des énergies renouvelables et sans gaz carbonique.
Dans cette perspective, compte tenu des connaissances
actuelles, on peut envisager les étapes suivantes:
A court terme

le pétrole, avec cycle combiné, quand
il remplace le charbon

le gaz, avec cycle combiné, quand il remplace
le pétrole et le charbon

la fusion nucléaire, quand elle remplace les
combustibles fossiles
A moyen terme

la fusion nucléaire (eau légère
+ surgénération)

le solaire passif ou thermique
A long terme

la fusion nucléaire avec surgénération

le solaire

la fusion nucléaire
A très long terme

le solaire

la fusion nucléaire
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