|
< Retour
au sommaire des Notes de synthèse

Mai 2000

par Martin Beniston*
Au cours de ce siècle, l'homme va être
l'auteur et la victime d'un changement climatique d'une
amplitude que la planète a déjà
connue, certes, mais sur des durées de plusieurs
millénaires. Le réchauffement attendu
dans les décennies à venir s'explique
par l'augmentation importante, depuis le début
de l'ère industrielle, de laccumulation
des gaz dits "à effet de serre" dans
latmosphère. Que faire ?
Les gaz à effet de serre, à commencer
par le dioxyde de carbone (CO2), le méthane (CH4)
ou les CFC, ont des propriétés physico-chimiques
qui les amènent à piéger partiellement
le rayonnement infrarouge émis par la Terre vers
l'espace. Cette absorption d'énergie sert à
maintenir la température de la basse atmosphère
à environ 15°C. Faute de ces gaz, il régnerait
à la surface du globe des froids sibériens,
de lordre de moins 20°C.
Ce sont avant tout les travaux de l'IPCC (Intergovernmental
Panel on Climate Change, en français Groupe intergouvernemental
d'évaluation des changements climatiques
GIEC) qui ont mis en évidence les risques potentiels
d'une hausse rapide de laccumulation des gaz à
effet de serre. L'IPCC, créé en 1988 par
les Nations Unies, et dont la Suisse est un membre actif,
comprend plus de 4000 scientifiques et économistes
du monde entier, dont plusieurs Prix Nobel.
L'IPCC estime que la hausse de près de 40% des
émissions de CO2, de 100% du CH4 et d'autres
gaz directement liée aux activités humaines
depuis le début de lère industrielle
est à lorigine du déséquilibre
des cycles naturels du carbone dans l'atmosphère.
Ce supplément de gaz pourrait provoquer un réchauffement
dont l'amplitude et la rapidité seraient de 10
à 100 fois supérieures aux fluctuations
naturelles du système climatique.
Bouleversements multiformes
La hausse de la température ne se borne pas à
un simple passage de l'état actuel à un
autre état un peu plus chaud, auquel on pourrait
éventuellement s'adapter. La rapidité
du phénomène est tout aussi importante
voire davantage que le changement lui-même.
Cest delle, surtout, que résulteront
les difficultés d'adaptation.
Les conséquences de ce réchauffement global
pourraient être par endroits importantes : élévation
du niveau des océans, fusion partielle des glaciers
de montagne et des calottes glaciaires, changement des
régimes de précipitations, redistribution
et extinction de divers écosystèmes. Il
pourrait aussi déboucher sur un accroissement
des risques de catastrophes naturelles, des menaces
pour la sécurité alimentaire et de fortes
pressions sur des secteurs financiers tels que les assurances.
Toute influence de l'homme se superpose au bruit de
fond de la variabilité naturelle du climat. Celle-ci
résulte aussi bien de fluctuations internes que
de causes externes, telles que l'activité solaire
ou les éruptions volcaniques. Notre capacité
à mesurer l'influence de l'homme sur le climat
global reste limitée car le signal attendu est
encore difficile à distinguer du bruit de fond
lié à la variabilité naturelle.
Il reste en outre à clarifier dautres facteurs
importants. Malgré ces incertitudes, l'état
des connaissances scientifiques permet de conclure quil
existe de sérieuses présomptions quant
aux effets des activités humaines sur les comportements
climatiques.
Interférences économiques
Compte tenu du rôle central que jouent les combustibles
fossiles (pétrole, charbon, gaz naturel) dans
l'économie mondiale, le débat sur l'effet
de serre ne pouvait que susciter de multiples avis et
d'intenses controverses où simbriquent
les aspects scientifiques et politiques. Car toucher
aux énergies fossiles revient à toucher
aux structures fondamentales de l'économie et
de l'industrie mondiales. On sait par exemple que les
bénéfices de l'industrie automobile reposent
essentiellement sur la vente des voitures de grandes
cylindrées, qui consomment deux à trois
fois plus que les petits véhicules économes.
Les fabricants nentendent donc pas se laisser
imposer des restrictions en matière de consommation
de carburants.
De leur côté, les pays pauvres ne voient
pas pourquoi ils devraient mettre un frein à
leur propre développement économique en
réduisant la consommation de charbon ou de pétrole
pour le bon plaisir des écologistes occidentaux,
dautant plus que les Etats industriels ne se préoccupaient
guère de lenvironnement et du climat lorsquils
créèrent leur essor économique.
La majeure partie du CO2 accumulé dans latmosphère
a été produite dans les pays industrialisés.
Les Etats en développement, qui abritent 75%
de la population mondiale, contribuent pour un peu plus
de 25% à la production de gaz carbonique de source
anthropogène.
Il se dégage cependant un consensus selon lequel
le réchauffement de la planète est inéluctable
et que le problème doit être résolu
par une action concertée de tous les pays du
globe. C'est ainsi que le "Sommet de la Terre",
qui s'est tenu à Rio de Janeiro en 1992 (UNCED :
United Nations Conference on Environment and Development),
a débouché sur ladoption dune
convention-cadre des Nations Unies relative aux changements
climatiques (CCCC). Ratifiée à ce jour
par plus de 150 pays, y compris la Suisse, cette convention
a pour objectif de ramener les émissions de gaz
à effet de serre au niveau de 1990 dans un avenir
relativement proche.
Statut spécial pour les
pays en développement
La convention reconnaît que les pays en développement
se trouvent dans une situation particulière.
Elle ne leur impose donc pas de limites d'émissions
précises, mais ils doivent rendre compte de leurs
émissions. Fait très important, les pays
signataires de la convention ont décidé
de tenir une série de réunions de suivi
où l'on évaluera les progrès accomplis
vers la réalisation de l'objectif commun. Un
exemple de réunion qui a fait couler beaucoup
d'encre est la conférence de Kyoto, en décembre
1997. Malgré de houleuses tractations et de nombreuses
tergiversations, cette assemblée a débouché
sur un protocole qui, pour la première fois,
vise à établir un calendrier chiffré
de réductions de gaz à effet de serre.
Ce protocole stipule que les pays industriels sont tenus,
d'ici à 2012, de réduire collectivement
leurs émissions de gaz à effet de serre
de 5,2% en dessous des niveaux de 1990. À l'intérieur
de ce cadre général, chaque Etat a son
propre objectif. Ainsi, les États-Unis ont opté
pour une réduction de 7%, l'Union européenne
et la Suisse de 8%.
Certains spécialistes considèrent toutefois
qu'il y a disproportion entre un risque potentiel mais
non prouvé et le coût, chiffrable en plusieurs
pour-cent du PIB mondial, des mesures de réduction
des émissions de CO2 et d'autres gaz à
effet de serre. Certains économistes proposent
de ne pas contrecarrer un réchauffement du climat
mais de mettre en uvre une politique d'adaptation.
Selon eux, une restriction des émissions de CO2
coûterait trop cher en investissements de reconversion
économique et technologique et nécessiterait
une intervention abusive de l'Etat dans les mécanismes
du marché.
Sadapter au réchauffement
?
Ces mêmes économistes estiment quil
vaudrait mieux s'adapter au fur et à mesure au
réchauffement du climat. Ceci pourrait se faire
par l'aménagement du territoire dans des zones
à risques (par exemple les régions côtières
et les montagnes), tout en saisissant l'avantage de
nouvelles zones propices à l'agriculture et en
appliquant une politique cohérente de la gestion
des ressources en eau.
Plusieurs études ont démontré la
faisabilité et l'efficacité de solutions
permettant de réduire les émissions de
CO2 sans diminuer le niveau de vie. Elles portent sur :
les économies d'énergie dans les technologies
industrielles, sur les moteurs automobiles, sur l'isolation
des bâtiments, sur l'accroissement de la part
du rail en matière de transport, sur la cogénération
de chaleur et d'électricité, sur le développement
d'énergiesrenouvelables, sur l'accroissement
de la part du gaz naturel aux dépens du charbon
et du pétrole, ou sur l'application des principes
de l'écologie industrielle.
Même si de nombreuses incertitudes subsistent
quant à l'ampleur et à la rapidité
des changements climatiques dans les décennies
à venir, on ne doute plus guère que ces
changements sont en cours. En l'absence de certitude
scientifique absolue, il conviendrait d'appliquer le
"principe de précaution". Ce principe
veut que l'on prenne des mesures préalables de
mitigation et d'adaptation bien avant que l'évènement
appréhendé ne survienne.
Les autres risques
Les mesures destinées à minimiser les
risques liés au réchauffement planétaire
permettraient par ailleurs de résoudre dans la
foulée d'autres problèmes environnementaux,
en particulier la pollution de l'air, de l'eau et des
sols, et les effets qui en résultent pour la
santé humaine. De nombreuses mesures préventives
pourraient être rapidement adoptées en
utilisant des technologies existantes.
Annexe
Taxe sur le CO2 : avantages
et inconvénients
Plusieurs mécanismes peuvent être envisagés
pour atteindre les objectifs définis dans la
convention-cadre sur les changements climatiques (CCCC)
relatifs à la réduction des émissions
des gaz à effet de serre à des niveaux
inférieurs à ceux de 1990. Il peut sagir
de mesures volontaires, dallègements fiscaux
pour les entreprises qui réduisent leurs émissions,
ou encore des "permis de polluer". Ce dernier
point fait lobjet dune controverse, car
ce permis permettrait à des pays, dont les émissions
sont inférieures aux quantités auxquelles
ils auraient droit, de "vendre" ce potentiel
démission à un autre pays qui a
de la peine à respecter sa limite de pollution.
En Europe, Suisse comprise, l'idée d'une taxe
sur le carbone fait son chemin tant au niveau économique
que politique, selon le principe du pollueur-payeur
. Il sagit dinciter les secteurs publics
et privés, ainsi que les particuliers, à
réduire leurs émissions directes ou indirectes,
en utilisant par exemple les transports publics plutôt
que la voiture individuelle. Les particuliers pourraient
chiffrer les coûts relatifs de l'utilisation de
la voiture, y compris la taxe sur le carbone, par rapport
à ceux d'un abonnement de transport. De même,
une entreprise qui utilise du pétrole dans ses
processus industriels aurait tout à gagner à
passer au gaz naturel, qui libère par unité
énergétique beaucoup moins de CO2 que
la combustion du pétrole.
Théoriquement, une telle taxe devrait atteindre
son but en contribuant à réduire les émissions
de gaz carbonique. Encore faudra-t-il soigneusement
évaluer le montant de la taxe. Car certaines
industries pourraient préférer sacquitter
de la taxe plutôt que d'investir dans des technologies
permettant de réduire leurs émissions.
Par ailleurs, aucune étude n'a jusqu'ici clairement
défini le niveau de taxation qui serait nécessaire
pour entraîner une diminution des émissions
de CO2 par rapport à 1990. Les économistes
sefforcent de trouver un juste équilibre
entre la valeur dissuasive de la taxe et la nécessité
de ne pas compromettre lessor économique
des pays sur le moyen et le long termes.
* Directeur de l'Institut de Géographie
de l'Université de Fribourg et Vice-Président
de l'IPCC (Intergovernmental Panel on Climate Change)
de 1993 à 1997 - Tél. 026/300 90 11 ;
fax 026/300 97 46 ; e-mail : martin.beniston@unifr.ch
< Retour
au sommaire des Notes de synthèse
|