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Juin 1994
L'émergence des nouveaux pouvoirs

Qui gouverne la Suisse? A cette question, posée il y a vingt ans sous forme de livre(1), un journaliste zurichois affirmait en substance que notre pays était de fait dirigé par les grandes associations patronales, auprès desquelles Parlement et gouvernement venaient prendre les ordres. Qu'en est-il aujourd'hui?

La rumeur sur l'omnipotence des associations économiques a la vie dure. L'observation, même superficielle, des coulisses de la politique révèle toutefois très clairement que les syndicats patronaux n'ont pas - ou plus à supposer qu'ils l'aient exercé un jour - le pouvoir qu'on leur attribue abusivement. Malheureusement, serait-on tenté d'ajouter, dans la mesure où la Suisse, aujourd'hui plus que hier, se porterait mieux à bien des égards si les principes de la libre entreprise y avaient davantage de poids.

Reposons donc la question: qui gouverne la Suisse? En scrutant les comptes des uns et des autres, on découvre que le WWF et Greenpeace travaillent dans notre pays avec un budget près de deux fois supérieur à celui des quatre partis gouvernementaux et de la principale organisation patronale réunis.

Si l'on y ajoute les autres organisations engagées dans l'écologisme militant (Fondation suisse de l'énergie, Fédération des amis de la nature, Ligue pour la protection de la nature, Association transport et environnement, Ligue pour la protection des eaux, sans oublier une quinzaine de groupements spécifiquement antinucléaires), on comprend mieux pourquoi plus rien ne peut se faire dans ce pays sans l'aval de ces mouvements.

Dès lors que le secrétariat du WWF compte dix fois plus de collaborateurs que celui du parti radical ou démocrate-chrétien, et avec un budget de fonctionnement déclaré huit fois plus élevé, il devient légitime de se poser des questions sur le fonctionnement de notre démocratie.

Si Greenpeace peut engager deux fois plus de moyens dans des actions politiques spectaculaires que n'en a le Vorort, principale association économique faîtière du pays, pour se consacrer à l'ensemble des domaines économiques, il devient alors évident que la vie politique s'en trouve durablement affectée.

La situation est d'autant plus préoccupante que ces associations n'ont aucune légitimité démocratique. Leur direction et leur fonctionnement échappent à tout contrôle des citoyens et des pouvoirs publics. En outre, les deux principales d'entre elles ont leurs racines à l'étranger et poursuivent des objectifs très largement définis et préparés en dehors de nos frontières.

Sur le papier, la Suisse reste gouvernée au centre-droite. Sur le terrain, toutefois, notre pays passe désormais sous la coupe de cette nébuleuse verte avec, de cas en cas, l'appui des partis de gauche, socialistes en tête. Son programme peut se résumer par un lapidaire: freiner et empêcher.

Il faut dire que notre Parlement lui a offert le pouvoir sur un plateau, avec une loi sur la protection de l'environnement taillée sur mesure. Outre une foule de dispositions restrictives, cette loi comprend notamment une ordonnance qui énumère les organisations habilitées à faire recours dans le cadre de la procédure sur les études d'impact.

Or cette liste est particulièrement édifiante sur le rapport des forces en présence: on y compte 24 groupements écologistes et tiers-mondistes, pour 4 associations économiques. En plus des mouvements cités plus haut figurent, parmi d'autres, la Déclaration de Berne, le Club alpin suisse, la Fédération de pêche et pisciculture, la Ligue suisse contre le bruit, l'Association pour la protection des oiseaux ou l'Helvetia Nostra de Franz Weber.

Le recours d'un seul de ces groupements peut empêcher la mise en œuvre du moindre projet, ou en retarder suffisamment la réalisation pour porter atteinte à sa rentabilité et le faire ainsi capoter. Si les nombreuses possibilités de recours ne suffisent pas pour annuler l'aménagement d'un centrale électrique ou l'agrandissement d'une fabrique, ces groupements ont toute latitude - et des moyens financiers illimités - pour engager des référendums et lancer des initiatives.

Cette situation de blocage a pris des proportions insoupçonnées. Au point que des entrepreneurs soumettent désormais leurs projets de construction et de développement aux associations écologistes avant même la mise à l'enquête. Celles-ci n'ont plus alors qu'à fixer les conditions auxquelles elles renonceront à faire opposition. Quitte, le cas échéant, à laisser un autre groupement engager ultérieurement des procédures de blocage.

Ainsi vont les choses en Suisse. On doit à la vérité de dire que le pouvoir a changé de mains. Il est vain de se lamenter sur le comportement des associations écologistes. Elles ont des objectifs clairs qu'elles poursuivent avec dynamisme et intelligence. Le problème réside bien davantage dans le manque de vision et dans la léthargie des institutions démocratiques de ce pays.

(1) Hans Tschäni: Wer regiert die Schweiz?

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