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Mars 1999
Energie vache à lait

Initiatives populaires à répétition, propositions de taxation multiples, lois sur le C02 et sur l'ouverture du marché de l'électricité, lancement d'une réforme fiscale écologique: la scène énergétique de ce pays est un chaudron bouillonnant dans lequel d'innombrables acteurs déversent des potions au goût indéfinissable. Un brouet que l'on pourrait résumer par la formule: "L'énergie, c'est du pognon. Ya ka se servir".

C'est peu dire que la politique énergétique de ce pays est en ébullition. Une quinzaine de projets sont en discussion à l'échelon fédéral, à commencer par les deux initiatives populaires écologiques, dont le lancement a déclenché, comme le souligne le Journal des arts et métiers, "un véritable délire collectif" qui contamine aujourd'hui le Conseil fédéral lui–même.

Commençons cette énumération par l'initiative dite "énergie et environnement". Elle propose une taxe sur les sources non renouvelables et sur l'électricité issue des grands ouvrages hydrauliques. Son acceptation entraînerait le renchérissement des énergies fossiles de 3,5% et de l'électricité de 2%. Le produit de cette taxe, estimé à 3,8 milliards de francs en 2010, devra être restitué "équitablement" aux ménages et aux entreprises.

Autrement dit, on prélève auprès des consommateurs d'énergie - les entreprises et les ménages - de l'argent qu'on leur restitue ensuite "équitablement", non sans avoir ponctionné au passage une partie de cette manne pour payer les fonctionnaires supplémentaires affectés à la gestion de la taxe.

Dans la foulée, les mêmes milieux écologistes ont lancé l'initiative "solaire". Elle exige le prélèvement d'un demi centime sur chaque kilowattheure d'agent non renouvelable. La recette annuelle de 800 millions qui en résultera sera affectée pour moitié au développement du solaire et pour moitié à l'utilisation rationnelle de l'énergie. Enfin, pour faire bonne mesure, les Verts ont peaufiné une troisième initiative dite "taxer l'énergie et non le travail".

Il devenait donc urgent de se poser la question: comment concilier le renchérissement de l'énergie qui résulterait de l'acceptation de ces initiatives avec la nécessité d'alléger les charges des entreprises pour les rendre plus compétitives? Comment le concilier avec la baisse générale des tarifs que l'on attend de l'ouverture du marché?

Des contradictions qui n'ont pas échappé au Conseil fédéral et à une majorité de parlementaires. "Ces initiatives sont excessives. Mais elles contiennent quelques bonnes idées qui méritent d'être étudiées": tel est, très résumé, le sentiment qui se dégage des prises de position des uns et des autres.

Que faire? Le Conseil national se prononçait le 15 juin dernier en faveur d'un arrêté instituant une taxe de 0,6 cen–time sur les énergies non renouvelables avec, à la clé, une recette annuelle de 800 millions de francs. Cet argent serait attribué à la promotion des agents renouvelables, à l'utilisation rationnelle de l'énergie et à l'assainissement d'ouvrages hydrauliques.

"Pas d'accord!", disait de son côté le Conseil des Etats, dont l'opposition à ce projet se fondait sur des raisons de droit constitutionnel. Soumise à une très forte pression politique et médiatique, la Chambre des cantons ne pouvait néanmoins guère se soustraire à l'obligation de présenter un contre-projet aux initiatives vertes. Et de proposer l'introduction, à l'échelle constitutionnelle, d'une taxe d'incitation sur les énergies non renouvelables, limitée dans le temps, dont le produit permettra d'alléger les prélèvements salariaux obligatoires.

L'été dernier, le Conseil des Etats lançait une vaste consultation. Les milieux politiques et économiques, furent invités à donner leur avis sur ces deux idées. A l'applaudimètre, le concept constitutionnel l'emporta très largement sur le projet d'arrêté. Si bien que le Conseil fédéral, qui avait jusque là rejeté les initiatives sans contre-projet, se retrouvait à son tour sous pression.

Le gouvernement vient d'annoncer sa préférence pour la solution du Conseil des Etats. Il laisse toutefois ouverte la question de l'affectation des quelque 300 à 450 millions de francs de recettes annuelles prévisibles. "Une partie de ce montant, souligne Berne, pourrait financer les investissements non amortissables résultant de l'ouverture du marché de l'électricité".

Le Conseil fédéral n'était pas vraiment chaud pour instaurer une taxe sur l'énergie. Il s'y est résigné, explique-t-il, pour "faire pièce aux deux initiatives écologistes". Il aurait toutefois préféré avoir les mains libres pour préparer la grande réforme des finances de 2006. Cette échéance devrait être mise à profit pour créer une fiscalité à but écologique basée sur le principe du "double dividende": plus d'emplois et moins de pollution.

Selon l'idée caressée à Berne, la taxe énergétique instaurée dans le cadre de cette réforme permettra à l'Etat d'engranger 2 à 3 milliards de francs par année. Le cas échéant, ce montant sera affecté aux assurances sociales, ce qui permettra de réduire les cotisations salariales de 10%, alors que la TVA, dont le taux se rapprochera alors de la moyenne européenne, sera sollicitée pour combler les trous qui subsisteraient.

Une telle réforme permettra-t-elle au système fiscal suisse de remplir cette double mission sociale et écologique? La Suède et le Danemark ont instauré une taxe sur les émissions de gaz dans l'atmosphère (C02, S02, NOx), dont le produit est utilisé pour alléger l'impôt sur le revenu en Suède, et pour réduire les taxes professionnelles au Danemark. Depuis 1996, les Pays-Bas prélèvent eux aussi une taxe énergétique sur les consommateurs non industriels - ménages compris - qui représente aujourd'hui 2,5% de la masse fiscale globale du pays. Cette manne est restituée sous forme d'allégement de l'impôt sur le revenu et des frais salariaux.

Sur le plan purement financier, le résultat de ces réformes est difficile à cerner. En quoi le fait de restituer d'une main ce qu'on a pris de l'autre est-il un avantage économique ou comptable? En outre, sur le plan écologique, on ne discerne à ce jour aucun progrès notable. C'est ainsi qu'au Danemark, pays volontiers cité en exemple par les milieux écologiques, l'approvisionnement énergétique repose toujours pour plus de 90% sur des sources d'énergie fossiles. On y enregistre l'un des taux de C02 par habitant le plus élevé du continent.

On a beau la badigeonner de vert: une taxe, toute écologique qu'elle soit, reste un impôt. La subvention des énergies renouvelables et le financement d'assurances sociales de plus en plus lourdes coûteront très cher, à plus forte raison s'ils sont simultanés. Il faut le dire très clairement et cesser de croire que l'économie se portera mieux si on la surcharge de taxes.

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