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15.12.93
Les révélations de Norman Schwarzkopf
De Bagdad à Berne
Quel rapport y a-t-il entre la guerre du Golfe et les nouvelles initiatives sur l'énergie en Suisse? A première vue aucun. Et pourtant! Oublions pour une fois les lieux communs. Avec un peu de recul et de discernement, on constate que l'énergie est un formidable instrument de manipulation et de domination. Chez nous comme ailleurs, les nouveaux pouvoirs s'articulent autour des barils et des kilowattheures.
Ceux qui croient encore que les Américains ont déclenché la guerre du Golfe pour sauver le petit Koweït des griffes du grand méchant Saddam seraient bien avisés de lire l'autobiographie de Norman Schwarzkopf. Le pétulant général y annonce noir sur blanc le motif réel de cette intervention: le pétrole.
On y apprend la création, en 1983, d'un important organisme militaire sous le nom de Central Command. Ce dispositif avait pour mission de coordonner la présence américaine au Proche?Orient. En fait, son principal objectif était d'empêcher l'Union soviétique de s'emparer des champs pétrolifères iraniens. Le cas échéant, plusieurs divisions de marines devaient être parachutées dans les zones montagneuses du nord de l'Iran.
Autrement dit, les Etats-Unis avaient délibérément pris l'option d'exposer leurs meilleures troupes aux portes mêmes de l'URSS, avec le risque de déclenchement de la Troisième Guerre mondiale, pour sauver quelques puits de pétrole. Voilà qui en dit long sur le rôle de l'énergie dans les équilibres géopolitiques mondiaux.
La conviction du général est faite: "Il n'y a pas, dit-il, de région plus importante au monde". A ses collègues du Pentagone davantage intéressés par l'évolution du côté de l'Extrême-Orient, il s'écrie un jour: "Dieu du ciel, qu'aurons-nous à faire du Pacifique sans le pétrole du Proche-Orient ?". Il est vrai que Norman Schwarzkopf a fait ses comptes. Il avait notamment découvert que les importations de pétrole des Etats-Unis en provenance de la zone du Golfe correspondent aux deux tiers de la consommation du Japon et à 30 % de celle d'Europe occidentale. "Cette région abrite 65% des réserves mondiales. Au rythme d'extraction actuel, elle fournira du pétrole pendant deux cents ans au moins", écrit-il dans ses Mémoires.
Autre sujet de préoccupation de Washington: les ressources pétrolières des Etats-Unis économiquement exploitables seront épuisées dans une vingtaine d'années. "Dans l'hypothèse qu'aucune source de substitution ne soit disponible d'ici là (aveu candide que l'on a tiré un trait sur le nucléaire dans certaines sphères de l'establishment américain), les Etats-Unis dépendront alors entièrement du Proche-Orient", souligne Schwarzkopf. Et de conclure que "les pays industriels amis d'aujourd'hui - Japon, Grande-Bretagne, France et Allemagne - deviendront alors des concurrents féroces".
Les chancelleries européennes seraient bien avisées de prendre l'avertissement très au sérieux. On mesure mieux, à la lumière de ce propos, le risque économique et politique qui consiste à maintenir un approvisionnement énergétique basé sur le pétrole. Nul doute que, le moment venu, la France et le Japon se retrouveront dans une position privilégiée grâce à leur ambitieux programme nucléaire.
Tout le monde n'a pas l'aplomb et la franchise du vainqueur de la guerre du Golfe. Dans le domaine de l'énergie, les acteurs avancent masqués. Les discours angéliques sur la sauvegarde de la planète, sur la lutte contre la pauvreté et les déséquilibres économiques cachent une réalité beaucoup plus prosaïque.
La Suisse n'échappe pas à ce phénomène. Sous le couvert de la controverse énergétique, on assiste dans notre pays depuis une quinzaine d'années à une redistribution du pouvoir. Grâce à d'importants moyens financiers mis au service d'une stratégie limpide, des associations dépourvues de toute légitimité démocratique se sont solidement installées dans nos institutions.
Comprenant tout l'intérêt qu'ils pouvaient tirer des droits de référendum, ces groupements exercent une pression constante sur la vie économique et politique du pays. A force de lancer des initiatives fédérales et cantonales teintées d'écologisme, ils ont tout naturellement obtenu la multiplication des lois et des réglementations qui restreignent la liberté d'entreprise.
Résultat: des sociétés désireuses de s'agrandir ou d'implanter de nouvelles installations traitent aujourd'hui directement avec les associations écologistes pour s'épargner les procédures d'opposition. L'obligation faite par le Tribunal fédéral à l'EOS de s'entendre avec le WWF pour la réalisation de Cleuson-Dixence en dit long sur la dérive de l'Etat de droit.
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