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15.06.98
Le dérapage du Conseil suisse de la science
Vous avez dit durable ?
"Il faut sortir du nucléaire parce qu'il ne remplit pas les conditions du développement durable". Telle est la conclusion du premier "Publiforum" organisé sous l'égide du Conseil suisse de la science. Celui-ci avait sélectionné une trentaine de citoyens issus des milieux les plus divers, qui ont auditionné des spécialistes de toutes tendances avant de donner un avis sur l'approvisionnement futur du pays en énergie électrique. Si la démarche est intéressante, le résultat, lui, suscite bien des surprises.
Satisfaire les besoins actuels sans porter préjudice à ceux des générations futures! Telle est, très résumée, la définition consensuelle du développement durable. Cette notion, que l'on retrouve aujourd'hui à la une des gazettes, devient beaucoup plus floue et controversée dès qu'il est question des moyens nécessaires pour atteindre l'objectif visé. C'est notamment le cas des choix énergétiques, tant les intérêts politiques et économiques l'emportent sur toute autre considération.
Car une première question s'impose, aveuglante, à l'écoute de cette définition du développement durable: comment pourra-t-on assurer l'avenir des générations futures en préservant, voire en accentuant la tendance actuelle qui consiste à maintenir la prépondérance des combustibles fossiles? Car au rythme de consommation actuel, on le sait, les réserves de pétrole et de gaz seront quasiment épuisées dans un demi-siècle.
Eliminer le nucléaire, comme le proposent aimablement les citoyens du "Publiforum " - dont l'achèvement des travaux a coïncidé avec le lancement des nouvelles initiatives antiatomiques - revient à écarter de la scène énergétique la seule source abondante, avec l'hydraulique, qui ne génère ni polution atmosphérique ni CO2. Et le fait qu'une tonne d'uranium permette de produire autant d'électricité qu'un million de tonnes de charbon ou de pétrole n'est-il pas, justement, un critère de durabilité?
En quoi le nucléaire est-il dès lors contraire au développement durable? Voyons ce que dit à ce propos le rapport du Publiforum. Au chapitre 3, consacré aux déchets radioactifs, on admet la nécessité d'un dépôt final en Suisse. Trois lignes plus bas, il est toutefois souligné que "Les citoyens s'opposent au stockage des déchets radioactifs". Jolie contradiction! Ce rapport en contient d'autres qui nous incitent à voir de plus près comment a été organisé ce débat.
Pour chaque domaine abordé, les citoyens ont consulté des experts. Lesquels? En matière d'environnement, ils ont fait appel au député écologiste genevois Chaim Nissim, ingénieur en électronique et figure dominante du mouvement Contratom, et à la conseillère nationale socialiste Silva Semadeni. Autrement dit deux personnalités politiques antinucléaires qui ne peuvent en aucune manière se prévaloir d'une formation scientifique dans des domaines afférents à l'environnement.
Même scénario pour le chapitre de l'éthique. Alors que l'on s'attendait à voir apparaître des professeurs d'éthique ou de philosophie, dont la Suisse ne manque pourtant pas, les citoyens ont fait appel à Joël Jakubec, président de la très antinucléaire Association pour l'appel de Genève, et à Regula Gysler, membre du groupe militant - antinucléaire également - Médecins pour l'environnement.
Enfin, après avoir entendu plusieurs autres "experts" ès énergies renouvelables, les citoyens estiment que ces sources sont appelées à couvrir "une part importante des besoins énergétiques dans un futur proche", tout en affirmant par ailleurs "qu'aucune alternative à l'énergie atomique n'est en vue actuellement".
Et toujours rien, dans ce rapport, sur le développement durable. Bref, nous renvoyons celles et ceux que le sujet intéresse sérieusement à la dernière édition du magazine Les Cahiers de l'électricité (No 39). Outre l'évocation des mesures prises par la Confédération dans ce domaine, il présente les résultats d'une vaste étude engagée en 1993 sous le titre Energie et durabilité.
Cette enquête s'appuie notamment sur des travaux des Ecoles polytechniques fédérales dans l'analyse des systèmes énergétiques. A partir de critères d'évaluations exhaustifs, on y a comparé les performances et les nuisances des différentes sources. Chacune d'elles est traitée dans la globalité de sa filière: depuis l'extraction des matériaux de base jusqu'à la mise en sécurité des déchets éventuels.
Les diverses formes d'énergie nucléaire y font l'objet d'une évaluation détaillée. A commencer par la fission, dont les avantages résident surtout dans l'abondance des matières premières - sous réserve du recours à la surgénération - et dans la densité énergétique: un gramme d'uranium 235 se substitue à une, voire à deux tonnes de mazout et évite le rejet de trois à six tonnes de C02.
Autre atout de l'atome de fission: les petites quantités de déchets produites, ce qui permet de les isoler facilement de la biosphère, l'inexistence des gaz à effet de serre, les prix bas et stables du combustible, le niveau de maîtrise technologique acquis dans les centrales occidentales, ou encore la possibilité de réduire les déchets à vie longue par transmutation.
Les aspects négatifs du nucléaire résident dans le potentiel de risques en cas de conception et de mise en œuvre défaillantes (contamination radioactive étendue et de longue durée), et dans l'image négative qu'il conserve dans une opinion publique déstabilisée par l'écart important qui subsiste entre la perception et la réalité des risques. Autre inconvénient: la durée limitée des réserves de combustible pour les réacteurs actuels à eau légère et le fait que cette technologie ne se prête pas à une exploitation dans les pays en voie de développement, compte tenu des investissements initiaux, de la nécessité de grands réseaux et de la culture de sécurité qu'elle suppose.
En résumé, l'énergie nucléaire offre un potentiel énergétique considérable, avec un impact négligeable sur la biosphère lorsque la sécurité est maîtrisée. C'est la seule forme d'énergie qui permet d'éviter le rejet de grandes quantités de C02 à un prix compétitif. Elle apparaît ainsi plus durable et entraîne moins de dommages irréversibles que les énergies fossiles.
La même étude évalue aussi soigneusement les avantages et les inconvénients des énergies renouvelables. Parmi les aspects positifs, elle relève le potentiel physique du rayonnement solaire, dont l'exploitation ne provoque pas d'émissions polluantes, ainsi que la compétitivité croissante de certaines applications (solaire passif, chaleur basse température). Parmi les éléments négatifs, elle souligne les immenses surfaces de captage nécessaires et les coûts élevés de la production photovoltaïque, avec un prix du kilowattheure dix à vingt fois supérieur à celui de l'électricité de réseau.
Autres désavantages: les très grandes quantités d'énergie et de matériaux nécessaires (il faudrait recouvrir plusieurs centaines de kilomètres carrés de panneaux de captage pour produire l'équivalent énergétique des cinq centrales nucléaires suisses), ainsi que les délais prévisibles pour amener le solaire à prendre une part importante à l'approvisionnement des consommateurs: la Suisse couvre aujourd'hui 0,012% de la production d'électricité avec du photovoltaïque, alors qu'elle dispose de la plus grande surface installée de cellules par habitant en comparaison mondiale.
Tout en dégageant quelques lignes générales claires (voir l'encadré ci-contre), cette étude révèle simultanément plusieurs inconnues. Un état idéal à long terme du monde et de la civilisation ne peut être défini sur la base des seules connaissances actuelles. Plusieurs questions fondamentales, dans le domaine du développement durable, restent en suspens: combien la Terre comptera-t-elle d'habitants dans vingt, dans cinquante ans? De quel niveau de vie et de quelles ressources énergétiques disposeront-ils? Les scientifiques eux-mêmes interprètent ces incertitudes de manière très diversifiée, reflet de leurs convictions personnelles.
Des incertitudes qui devraient pour le moins nous conduire à ne fermer aucune porte sur l'avenir énergétique de ce pays.
Eclairage
L'après fossile
Une période transitoire de plusieurs dizaines d'années sera nécessaire pour remplacer très progressivement les agents fossiles par des énergies renouvelables et sans gaz carbonique. Dans cette perspective, compte tenu des connaissances actuelles, on peut envisager les étapes suivantes:
A court terme - le pétrole, avec cycle combiné, quand il remplace le charbon,
- le gaz, avec cycle combiné, quand il remplace le pétrole et le charbon,
- la fusion nucléaire, quand elle remplace les combustibles fossiles.
A moyen tonne
- la fusion nucléaire (eau légère + surgénération),
- le solaire passif ou thermique.
A long tonne - la fusion nucléaire avec surgénération,
- le solaire,
- la fusion nucléaire.
A très long terme - le solaire,
- la fusion nucléaire.
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