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Juin 2002



par Paul Ribaux*


L'avenir de l'énergie nucléaire est étroitement lié à la gestion des déchets radioactifs. Il revient aux spécialistes de démontrer que des moyens existent. Mais il revient aussi aux décideurs politiques, puis aux citoyens, de faciliter la mise en œuvre des solutions techniques proposées. Or ces solutions, quelles sont-elles?


On trouve dans la nature des substances stables et instables. Ces dernières, les matières radioactives, se désintègrent progressivement au cours du temps pour se transformer en substances stables. Dans certains cas, cette désintégration se fait en plusieurs étapes par toute une chaîne de substances radioactives intermédiaires, qui débouche finalement sur une matière stable. Un "éclat" de rayonnement est émis lors de chaque désintégration, quand un atome se transmute en un atome de nature différente.

Observons une masse significative de matière, une fraction de gramme par exemple, composée de milliards d'atomes. L'un de ces atomes, pris isolément, peut se désintégrer dans la seconde qui suit, ou seulement après des millions d'années. Considérée dans sa masse, toute matière radioactive est caractérisée par sa période, aussi appelée demi-vie. C'est le temps au terme duquel la moitié des atomes considérés à un moment donné se sont désintégrés.

Ainsi, le rayonnement émis par une substance radioactive (activité), qui atteint 100% à un moment donné, ne sera plus que de 50% après 1 période, de 25% après 2 périodes, de 12,5% après 3 périodes, etc. Les périodes des diverses substances radioactives vont de la fraction de seconde aux milliards d'années.

Fausse perception
Ainsi, l'activité d'une substance radioactive diminue avec le temps. Il est à ce propos paradoxal que la crainte du public se focalise entièrement sur des substances dont la nocivité décroît dans la durée, tout en ignorant les dangers d'autres matériaux – par exemple les métaux lourds utilisés dans des objets usuels, tels le plomb, le cadmium ou le mercure – qui conservent une toxicité élevée jusqu'à la nuit des temps.

Un autre paradoxe est celui de la perception de la durée d'une demi-vie. Un "éclat" de rayonnement étant émis lors de chaque désintégration, l'intensité du rayonnement d'une masse donnée est inversement proportionnelle à la période, donc d'autant plus faible que la période est longue. C'est la raison pour laquelle il est possible de manipuler sans danger les assemblages de combustible neufs d'un réacteur nucléaire. Les périodes des deux isotopes d'uranium présents sont de 700 millions d'années pour l'uranium 235 et de 4500 millions d'années pour l'uranium 238.

La radioactivité fait partie de la vie quotidienne. Elle a toujours existé sur Terre. Nous sommes soumis à un rayonnement provenant de l'espace, de notre corps et du sol, qui varie selon les caractéristiques géologiques. Il est au moins deux fois plus élevé dans les Alpes que sur le Plateau suisse. Or l'on ne décèle aucune différence dans l'état de santé et la durée de vie d'individus habitant des régions caractérisées par une radioactivité naturelle faible ou élevée.

César radioactif
Chaque seconde, quelque 8000 atomes radioactifs se désintègrent dans notre corps, qui n'ont rien à voir avec les centrales nucléaires. Jules César était tout aussi radioactif que vous et moi. L'homme n'a cessé de subir un rayonnement radioactif. Les scientifiques disposent donc de durées comparatives considérables pour fixer un seuil d'innocuité de doses de radiations. Au contraire, avant la mise sur le marché de nouvelles substances chimiques qui n'existent pas dans la nature, ils ne disposent souvent que de quelques années pour évaluer leurs effets sur l'homme.

La radioactivité est une caractéristique inhérente au noyau de l'atome: aucune transformation chimique (incinération par exemple) ne peut modifier ou supprimer la radioactivité d'une substance. En agissant par contre au niveau du noyau, il est possible de transmuter un atome de manière à modifier sa période, voire à supprimer sa radioactivité.

Cette transformation suppose le recours à des accélérateurs de particules ou à des réacteurs spécialisés, voire à la combinaison de ces deux technologies. Une telle approche de la gestion des déchets radioactifs implique toutefois des développements technologiques longs et coûteux, et avec des résultats, compte tenu de l'état actuel des connaissances, aléatoires.

Les méthodes D-D et C-C
Comment gérer les déchets toxiques résultant des activités humaines? Dans la majorité des cas, on applique la stratégie D-D: Disperser-Diluer. C'est le cas pour les gaz de combustion, dont le C02, qui partent librement dans l'atmosphère, où ils sont dilués. Dans le domaine nucléaire, on applique le principe C-C: Concentrer-Confiner. Les déchets sont sous contrôle dès leur naissance. Ils sont isolés, concentrés puis confinés par un stockage à l'abri de la biosphère.

A l'exception de quelques rares gaz à vie courte qui s'échappent par une haute cheminée (D-D), toutes les substances radioactives résultant de l'exploitation d'une centrale nucléaire restent confinées et sous contrôle, de leur naissance jusqu'à leur stockage final dans un site approprié. Leur faible volume permet de les soumettre aux traitements les plus sophistiqués pour les convertir en une forme adéquate pour un stockage final sous forme solide. Il n'est en effet pas question de stocker de façon définitive des déchets sous forme liquide, de manière à limiter les risques de fuite.

On peut subdiviser ces déchets de la façon suivante:
• les déchets de faible et moyenne activité (DFMA). Il s'agit de substances dont les périodes – demi-vies – ne dépassent pas, à de rares traces près, 30 années. La chaleur dégagée par ces déchets est infime et ne joue aucun rôle pour leur stockage.
• les déchets de haute et moyenne activités à vie longue (DHA). Il s'agit du combustible usé, respectivement des produits de fission vitrifiés. Ils dégagent au cours des premières années une importante quantité de chaleur, proportionnelle à la radioactivité, qui nécessite un stockage intermédiaire d'une quarantaine d'années au moins dans une installation assurant leur refroidissement, jusqu'à ce que la chaleur ait suffisamment diminué pour permettre un stockage final.

Sous surveillance
En Suisse, on prévoit le stockage final de l'ensemble des déchets dans une formation géologique profonde. Cette stratégie est adoptée par tous les pays industriels pour les déchets de haute et moyenne activités à vie longue. Il est toutefois possible d'envisager un stockage proche de la surface pour les déchets de faible activité, la radioactivité résiduelle de ces déchets ne constituant plus le moindre risque après une période de stockage relativement brève. Un tel dépôt en surface doit toutefois faire l'objet d'une surveillance afin de détecter et neutraliser toute fuite éventuelle, et de prévenir l'intrusion de personnes non autorisées.

Les déchets radioactifs sont concentrés (compactage mécanique, filtration, incinération, etc.) et conditionnés sous forme solide en vue de leur stockage final. La plus grande partie des déchets de faible activité est placée dans des fûts en acier de 200 litres pour y être enrobés dans un coulis de ciment. Ces fûts, d'un poids de 400 à 500 kilos, ne contiennent que 2 à 10 grammes de substances radioactives. Le reste étant la partie inerte des déchets (corps de filtres, outils contaminés, etc) et la matrice de ciment.

Le fût en acier ne sert en fait que de coffrage pour couler le ciment et de protection contre les chocs lors des manutentions. Il ne joue aucun rôle pour la sûreté du stockage final. Quant aux produits de fission du combustible nucléaire (déchets de haute activité), ils sont vitrifiés et placés dans de robustes conteneurs pour leur stockage final.

Roches d'accueil
La Nagra (Nationale Genossenschaft für die Lagerung radioaktiver Abfälle), appelée autrefois Cédra en français (Société coopérative nationale pour l'entreposage de déchets radioactifs), a été créée en 1972 par les exploitants des centrales nucléaires et la Confédération. Elle a pour mission d'identifier des sites potentiels, puis de planifier des dépôts finals pour tous les types de déchets radioactifs des centrales nucléaires, ainsi que de la médecine, la recherche et de l'industrie dont la gestion incombe à la Confédération.

Pour les déchets faiblement et moyennement radioactifs, la Nagra a procédé à des investigations sur quatre sites potentiels avec trois roches d'accueil différentes: le Bois de la Glaive, à Ollon, dans l'Est-Vaudois (anhydrite), le Piz Pian Grand, dans les Grisons (roches cristallines), ainsi que le Wellenberg, canton de Nidwald, et l'Oberbauenstock, canton d'Uri (marnes valanginiennes).

En vertu de l'autorisation octroyée par le Conseil fédéral en 1985, les recherches ne pouvaient se faire qu'à partir de la surface du sol (études hydrogéologiques, géophysiques, forages carottés). A elles seules, ces investigations ne sont pas suffisantes pour garantir la conformité d'un site aux exigences d'un entreposage. Il faudra procéder à d'autres travaux à partir d'une galerie d'exploration pénétrant dans la roche d'accueil.

Les études réalisées sur ces quatre sites n'ont révélé aucun élément de nature à exclure l'un ou l'autre d'entre eux. La comparaison des résultats a toutefois démontré que le Wellenberg présentait des avantages incontestables. La roche d'accueil s'avère particulièrement imperméable et l'on y dispose d'un massif rocheux nettement plus volumineux qu'ailleurs pour accueillir un dépôt final.

Recherche de site
La GNW (Gesellschaft für nukleare Entsorgung Wellenberg), financée par la Nagra, a déposé une requête pour la réalisation d'une galerie d'exploration au Wellenberg afin de confirmer l'aptitude de ce site. Pour rassurer la population voisine, un nouveau concept de dépôt a été proposé, qui inclut une surveillance et la possibilité de récupérer les déchets aussi longtemps que souhaité, avant que l'on ne procède à son scellement définitif.

Quant aux déchets de haute activité, la Nagra a entrepris dès 1982 la réalisation de sept forages carottés de plus de mille mètres de profondeur. Elle a aussi procédé à des levés sismiques et à d'autres investigations depuis la surface pour étudier le socle cristallin (granit/gneiss) du nord de la Suisse (cantons d'Argovie, Zurich et Schaffhouse).

Ces études ont été étendues à une couche d'argile à opalinus dans le Weinland zurichois où, après une campagne sismique, un forage de mille mètres de profondeur a été réalisé dans la commune de Benken. Cette région présente d'excellentes caractéristiques, qui devront être toutefois confirmées par des investigations supplémentaires.

En raison du retard pris dans la réalisation d'un dépôt final pour les déchets faiblement et moyennement actifs et du retour en Suisse des déchets de haute activité issus du retraitement du combustible en France et en Angleterre, il a fallu construire un dépôt intermédiaire en surface pour tous les types de déchets. Cet ouvrage, appelé Zwilag, a été aménagé à Würenlingen (Argovie).

Solution européenne?
Caractérisés par des volumes relativement importants et par une radioactivité réduite, les déchets faiblement et moyennement actifs devront être stockés en Suisse dans un site approprié. Pour les déchets de haute et moyenne activités à vie longue, la situation est différente : les volumes sont faibles et la radioactivité élevée. Etant donné la nécessité de les laisser refroidir en surface, leur stockage dans un dépôt final n'interviendra que dans quelques décennies.

Le bon sens voudrait que l'on ne réalise qu'un nombre limité de dépôts pour l'ensemble des déchets de haute et de moyenne activités à vie longue d'Europe. Cette solution, préconisée par les spécialistes depuis les années 60 déjà, paraît aujourd'hui compromise pour des raisons politiques, personne n'acceptant l'idée d'abriter des déchets en provenance d'un autre pays. C'est pourquoi la Suisse poursuit ses travaux de recherches pour identifier un site national de stockage, tout en laissant la porte ouverte à une alternative européenne.

La gestion des déchets radioactifs fait l'objet d'une très large collaboration internationale. La Nagra, par exemple, a notamment signé des accords de collaboration avec la France, l'Allemagne, la Grande-Bretagne, l'Espagne, la Suède, la Finlande, les Etats-Unis, le Japon et Taiwan. Notre pays y joue un rôle en vue grâce aux laboratoires souterrains du Grimsel et du Mont Terri, qui sont largement utilisés par des chercheurs étrangers également.

Triple protection
Un mur de béton de deux mètres d'épaisseur environ enveloppant un réacteur nucléaire suffit à assurer la protection du personnel d'exploitation. C'est dire si le stockage des déchets radioactifs dans des formations géologiques profondes ne présente, pour les êtres vivants, aucun risque par rayonnement direct. Il faudra en revanche s'assurer que des fuites éventuelles de substances radioactives, susceptibles d'aboutir dans la biosphère, restent limitées à un niveau ne présentant aucun danger pour l'homme et la nature.

Une première protection contre la fuite de substances radioactives réside dans le conditionnement des déchets. Une seconde protection est constituée par le remplissage des espaces vides des galeries avec du ciment ou de la bentonite, ainsi que par le revêtement de béton des galeries. Troisième barrière : le massif rocheux, qui assure la rétention des fuites radioactives.

Seule une infiltration d'eau pourrait emmener des matières radioactives hors du dépôt, par mise en solution de certaines substances ou par enlèvement mécanique. Il faut donc s'assurer que la roche d'accueil soit aussi imperméable que possible. Elle doit aussi présenter une capacité de rétention (sorption, diffusion matricielle) de substances qui pourraient être néanmoins entraînées par de l'eau, de manière à retarder leur éventuelle irruption dans la biosphère, de sorte que les substances aient alors perdu l'essentiel de leur activité.

Le facteur temps
On voit que le temps joue en faveur de la sûreté du stockage final de déchets radioactifs. Ce qui constitue un avantage considérable en comparaison de l'élimination de certains résidus chimiques dont la toxicité perdure indéfiniment (métaux lourds notamment).

Comment, une fois stockés, les déchets radioactifs se comporteront-ils au cours de milliers, voire de dizaines de milliers d'années? Pour répondre à cette question, des spécialistes réalisent de nombreux essais en laboratoire et sur sites. Ils ont aussi élaboré des modèles mathématiques pour décrire les phénomènes défavorables qui pourraient se développer au cours du temps.

Ces modèles sont basés et vérifiés par l'étude de phénomènes géologiques réels qui se sont déroulés au cours des dizaines et centaines de milliers d'années passées dans diverses parties du globe. Pour qu'un site potentiel puisse être déclaré apte à accueillir un dépôt final, il faut démontrer que pour tous les scénarios potentiels (nouvelle glaciation avec érosion, instauration d'un climat aride ou tropical), la quantité de radionucléïdes susceptibles d'atteindre la biosphère ne pourra en aucun cas constituer une menace pour l'homme et la nature.

Une fois les déchets stockés, et après une période d'observation du comportement du site, on procédera au remplissage des espaces libres dans les galeries et au scellement des accès. Il importe de ne laisser aucun vide dans le dépôt, qui pourrait favoriser l'infiltration d'eau. Le dépôt ne nécessitera dès lors plus aucune maintenance ni surveillance.

Sous contrôle
Des dépôts finals pour déchets de faible radioactivité, proches de la surface, sont en service en France (depuis 1969), en Espagne (1992) ou au Japon (1992). Quant aux sites de stockage aménagés en profondeur, tel celui qui est envisagé par la Nagra au Wellenberg, on en trouve en Suède (depuis 1988) et en Finlande (1992).

Un dépôt final géologique pour déchets de moyenne activité à vie longue d'origine militaire est en service aux Etats-Unis depuis 1999. Le gouvernement américain envisage également la réalisation d'un dépôt final pour déchets de haute activité dans le site de Yucca Mountain (Etat du Nevada), où un vaste programme d'études géologiques est en cours depuis de nombreuses années. En Finlande, le gouvernement et le Parlement ont approuvé le principe de l'aménagement d'un dépôt final dans la région de Olkiluoto pour les déchets de haute activité.

Les études et recherches de sites adéquats se poursuivent dans la majorité des pays qui exploitent des installations nucléaires. Les petites quantités de déchets produites et la possibilité de les garder sans problème sur des sites provisoires laissent aux responsables de ce problème suffisamment de temps pour identifier et aménager des dépôt finals adéquats. De fait, la gestion des déchets nucléaires est totalement sous contrôle.

*Ingénieur EPFL, Paul Ribaux a été chef du département "Equipements nucléaires" des Ateliers des Charmilles SA, puis collaborateur de la Nagra.

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