Le réseau électrique de Suisse fait face à de grands défis et à des coûts importants
En Suisse, le remplacement prévu de l’énergie de ruban issue des centrales nucléaires par une production d’électricité à partir d’énergies renouvelables, décentralisée et irrégulière, aura des conséquences importantes sur les réseaux électriques: la construction, l’extension et la préservation de l’infrastructure des réseaux impliqueront des coûts élevés au cours des prochaines décennies. Fin novembre 2014, une consultation a été ouverte sur la stratégie de la Confédération en matière de réseau. Pour que celui-ci puisse répondre aux exigences futures tout en restant sûr et fiable, la stratégie de réseau récemment mise en consultation doit s’accompagner de profonds changements. Il est notamment nécessaire de définir de meilleures conditions pour une accélération de l’extension du réseau. La Suisse doit donc impérativement synchroniser sa stratégie de réseau avec la Stratégie énergétique 2050 et intensifier sa collaboration avec l’Europe.
Dans un avenir relativement proche, l’énergie de ruban issue des centrales nucléaires devra être supplantée en Suisse par une production fluctuante issue d’énergies renouvelables. Les plus grands potentiels se situent dans la production issue du soleil et du vent. Ce type de production, décentralisée et variable dans le temps, place toutefois le réseau électrique suisse face à de nouveaux défis. Cette production irrégulière requiert la gestion dans le réseau des excédents temporaires en présence de beaucoup de soleil et de vent, ainsi que l’injection d’énergie de remplacement par manque de soleil et de vent. En effet, la production et la consommation doivent toujours rester équilibrées sous peine de provoquer des pannes. Pour y parvenir, notre réseau électrique actuel doit être renforcé et étendu. En d’autres termes, pour pouvoir mettre en œuvre le tournant énergétique imaginé par le Conseil fédéral, nous avons besoin d’une transformation et d’une extension importante du réseau. En outre, il faudra parallèlement renouveler de nombreuses lignes en raison de leur âge, car le réseau de transport d’électricité actuel a été construit pour presque deux tiers dans les années 1950 et 1960.
Des coûts très importants pour la construction, l’extension et la préservation de l’infrastructure des réseaux
Le réseau de transport d’électricité suisse est long de 6700 km (trajet Genève - Washington D.C.). Le coût de son entretien, de son renouvellement et de son extension reste encore difficile à estimer de manière précise. L’ensemble des acteurs de la branche s’accorde néanmoins sur le fait qu’un investissement colossal est à consentir.
Dans une étude intitulée «Scénarios pour l’approvisionnement énergétique du futur», l’Association des entreprises électriques suisses (AES) chiffre par exemple les coûts totaux de la préservation de l’infrastructure, de l’extension et du renforcement des réseaux électriques d’ici à 2050 à une somme comprise entre 60 et 70 milliards de francs.
Quelques points critiques du projet mis en consultation
En novembre 2012, le Département fédéral de l’environnement, des transports, de l’énergie et de la communication (DETEC) avait mis en consultation un projet de concept détaillé pour une stratégie relative aux réseaux électriques. En juin 2013, le Conseil fédéral a mandaté le Département de la conseillère fédérale Doris Leuthard (DETEC) pour élaborer les bases légales de la transformation et de l’extension des réseaux électriques. L’extension accélérée des réseaux est également un objectif prioritaire. La consultation a débuté les 28/29 novembre 2014, c’est-à-dire à peu près en même temps que la discussion autour de la Stratégie énergétique 2050 au Parlement (Conseil national). Ces deux stratégies seront donc traitées avec un décalage considérable, alors qu’il serait important que la stratégie de réseau fasse partie intégrante de la Stratégie énergétique 2050.
Pour bâtir le réseau électrique du futur, il est également primordial d’accélérer l’extension du réseau. La consommation nationale d’électricité et les échanges internationaux d’électricité n’ont cessé de croître au cours des dernières années. C’est pourquoi il convient d’accélérer les procédures de construction de nouveaux réseaux. Les difficultés et les lacunes existantes doivent être surmontées ou comblées. Et ce, même sur les réseaux existants. Etant donné qu’un grand nombre de projets porte sur des transformations, des augmentations de tension ou le remplacement d’installations existantes, les processus d’autorisation doivent être accélérés d’urgence. Une concentration sur une unique autorité compétente, par exemple l’Inspection fédérale des installations à courant fort (IFICF), le permettrait. Une autre possibilité consisterait à limiter les possibilités de recours au Tribunal fédéral.
Du point de vue des exploitants du réseau, une stratégie de réseau doit également permettre d’augmenter la sécurité de planification et d’investissement. Sur ce plan, il serait utile de disposer de directives claires, par exemple en ce qui concerne les lignes enterrées ou aériennes, car les coûts des lignes enterrées sont plusieurs fois supérieurs à ceux des lignes aériennes. Une situation juridique claire relative à la possibilité de prendre en compte les coûts supplémentaires des conduites enterrées est également nécessaire.
Le raccordement au réseau étranger constitue lui aussi un point critique. Le système d’approvisionnement suisse en électricité, avec 40 lignes limitrophes, est étroitement lié aux réseaux de transport d’électricité européens. Si l’on souhaite mettre en œuvre le tournant énergétique tel qu’il est esquissé aujourd’hui, la Suisse devra importer davantage d’électricité. En outre, la Suisse est un pays de transit important pour le courant européen, ce qui pourrait prendre encore plus d’ampleur. Mais cela présuppose des capacités de réseau suffisantes.
Propriété du réseau
Plusieurs entreprises (Alpiq, FMB, Repower) prévoient de vendre leurs parts du réseau haute tension, au motif de dégager du capital pour l’acquisition de nouveaux domaines de croissance. Conformément à la Loi sur l’approvisionnement en électricité, 51% des actions de Swissgrid doivent rester directement ou indirectement en possession des cantons ou des communes, qui disposent également d’un droit de préemption. Les directeurs cantonaux de l’énergie de Suisse occidentale ont manifesté conjointement leur intérêt pour le paquet d’actions Swissgrid de la société Alpiq. La rémunération du capital est garantie, car définie par la Confédération; le taux d’intérêt s’élève actuellement à 4,7 %. Dans le cas où ces entités publiques renonçaient à ce droit de préemption, l’Etat souhaiterait éviter que des parts du réseau soient vendues à des investisseurs étrangers. Les investisseurs institutionnels suisses tels que les caisses de retraite seraient en revanche les bienvenus.
Réseau intelligent /Compteur intelligent
Dans le contexte des réseaux électriques, on retrouve depuis quelques années une notion récurrente, celle de «réseau intelligent» ou «Smartgrid». Il s’agit d’un réseau du futur capable de commander l’injection et la consommation d’électricité de façon «intelligente» et ce, au moyen d’une technologie de mesure et de communication. Cette technologie doit intégrer des possibilités de stockage, être capable de désactiver temporairement des applications électriques et ainsi de rendre plus efficient l’ensemble du réseau. Pour la réalisation de ce réseau intelligent, les ménages devront disposer de compteurs d’électricité intelligents, également appelés «Smartmeters». Les réseaux et compteurs intelligents doivent permettre le succès du tournant énergétique. Toutefois, d’ici là, il reste encore un long chemin à parcourir et beaucoup de réponses à apporter à des questions telles que les standards des appareils, des aspects de protection des données, les dangers d’Internet et des coûts de plusieurs milliards de francs. Les réseaux et compteurs intelligents pourront toutefois contribuer de façon significative à créer un système électrique efficient. L’évolution ira certainement dans ce sens, mais il n’y a là aucun miracle à espérer.
Conclusion
Pour créer le réseau du futur et être en mesure de l’optimiser en fonction des nouveaux besoins, il faut agir. Pour résumer, les facteurs suivants sont importants, voire décisifs, pour garantir un réseau électrique sûr et durable en Suisse:
- Une stratégie énergétique unique est nécessaire. Elle doit intégrer une stratégie de réseau.
- La société doit accepter la nécessité d’extension du réseau.
- Les procédures d’autorisation doivent être accélérées afin de pouvoir rapidement surmonter les difficultés et combler les lacunes.
- Les conditions de mise en terre des lignes doivent être rapidement et clairement définies afin de garantir la sécurité de planification et d’investissement.
- Le raccordement au réseau étranger doit être garanti.
- Les technologies modernes et novatrices (réseaux intelligents, compteurs intelligents) doivent être encouragées et prises en compte.
Le saviez-vous ?
Selon un rapportpublié en septembre 2014 par le Réseau de transport d’électricité (RTE) et relayé par le JT de France 2 le 28 octobre dernier, une dégradation de la sécurité d’approvisionnement électrique en France est à prévoir durant les hivers allant de 2015 à 2018.
La filiale d’Électricité de France (EDF) en charge de la gestion du réseau public de transport d’électricité de la métropole voit dans l’accélération du processus de fermeture ou de mise sous cocon des moyens de production thermique (gaz, charbon, fioul) l’origine de cette pénurie d’énergie.