Le tournant énergétique en Allemagne – tout sauf une réussite
Le tournant énergétique allemand concerne tout juste un dixième de l’ensemble de son économie énergétique, mais il a des répercussions considérables. La part de l’électricité issue du charbon (notamment le lignite) et d’autres agents énergétiques fossiles augmente de nouveau, tandis que les distorsions du marché évincent d’autres agents énergétiques. Stimulés par les subventions, les coûts deviennent incontrôlables et ce sont les consommateurs finaux qui en payent la facture. Les investissements annuels de plusieurs milliards sont au final tout sauf une réussite. Si la Suisse copie ce système, elle se dirige vers un avenir incertain et coûteux en matière d’électricité.
Le tournant énergétique en Allemagne repose sur deux piliers stratégiques : la sortie du nucléaire et le développement des énergies renouvelables. Toutes les centrales nucléaires doivent être arrêtées selon un calendrier défini. Dès l’été 2011, soit peu de temps après Fukushima, 8 des 17 centrales nucléaires ont été mises à l’arrêt. Les 9 centrales restantes doivent fermer au plus tard d’ici fin 2022. En contrepartie, la part d’énergies renouvelables dans le mix de production allemand doit augmenter le plus rapidement et le plus intensivement possible, surtout par le biais des énergies éolienne et solaire. En 2030, celles-ci doivent couvrir 50% de la consommation électrique domestique et en 2050 80%. Avec une part actuelle d’environ 25% d’électricité d’origine renouvelable, l’Allemagne n’est encore qu’au début de cette progression. Les autres modes de production d’électricité, en particulier la production issue des agents énergétiques fossiles qui représente plus de 50% de la production actuelle, ne font l’objet d’aucune stratégie claire. De même, les secteurs du chauffage et des transports ne sont, pour l’heure, pas au centre des préoccupations. Par conséquent, le tournant énergétique allemand ne concerne simplement qu’un dixième environ de l’économie énergétique, car l’électricité représente environ 20% de la consommation d’énergie et la stratégie ne porte que sur la moitié de celle-ci.
Hausse de l’exploitation du lignite, conséquence du «tournant énergétique»
Contrairement à la Suisse, l’Allemagne possède d’importants gisements de lignite, ou houille brune, qui permettent de compenser l’abandon de l’électricité nucléaire. Depuis la réunification allemande, jamais la part d’électricité issue du charbon (lignite notamment) n’a été aussi élevée qu’au cours de ces deux dernières années. En 2013, plus de 50% de l’électricité en Allemagne provenait d’agents énergétiques fossiles, dont plus d’un quart du lignite. À elle seule, cette roche représentait une part plus importante dans la production d’électricité que celle de l’ensemble des énergies renouvelables réunies (voir le graphique ci-dessous).
Conséquence directe du tournant énergétique, le boom du charbon en Allemagne s’explique notamment par le prix bas des certificats de CO2 et le fait qu’elle soit une énergie bon marché. De ce fait, les centrales à gaz, qui produisent moins de CO2, sont hors course, car leurs coûts de production sont plus onéreux. Les centrales à charbon sont par ailleurs de grandes consommatrices d’énergie. La situation ne va guère changer en Allemagne dans les années à venir. D’une part, les centrales nucléaires restantes doivent fermer d’ici 2022, d’autre part l’épuisement des ressources en lignite n’est pas à l’ordre du jour.
Les coûts deviennent incontrôlables
Selon le gouvernement fédéral, le soutien à la production d’énergie renouvelable a coûté environ 19 milliards d’euros pour les années 2012 et 2013. En 2014, ce montant s’élevait autour des 21,6 milliards d’euros. En comparaison, la valeur marchande de l’électricité produite grâce à ces énergies se situait à environ 4 milliards d’euros en 2013 et 5 en 2014 ! Le consommateur et le contribuable ont supporté la différence. Ceci a eu pour effet de plus que doubler le prix moyen de l’électricité pour les ménages en 2013 par rapport à 2000 (de 14 centimes à 28,5 centimes d’euros). Les taxes d’encouragement et les impôts représentent la moitié de ce prix. La contribution que doivent payer les consommateurs finaux pour encourager les énergies renouvelables s’élevait en 2012 à 3,6 centimes/kWh. En 2013, elle est passée à 5,3 centimes/kWh et en 2014 à 6,2 centimes/kWh. A cela s’ajoute encore la taxe sur la valeur ajoutée sur la consommation d’électricité de 19%. Jusqu’à présent, les coûts ont continué d’augmenter chaque année. Et ne sont toutefois pas encore pris en compte les montants colossaux en rapport avec le développement du réseau, le stockage de l’énergie et la création de centrales de réserve. Ils représenteront une charge supplémentaire pour les consommateurs finaux et les contribuables.
Autres dérives du tournant énergétique en Allemagne
- Le boom du charbon entraîne la hausse continue des émissions de CO2 en Allemagne. Le lignite est en effet l’agent énergétique ayant le taux d’émission de gaz à effet de serre par kWh le plus élevé. L’an passé, le Conseil mondial du climat avait explicitement mis en garde contre les conséquences dramatiques (rapport IPPC) de l’utilisation de cette roche
- L’électricité subventionnée issue de sources renouvelables entraîne une forte distorsion du marché, qui a également des conséquences immédiates sur la Suisse. L’électricité subventionnée met notamment en danger l’électricité d’origine hydraulique.
- L’électricité d’origine éolienne et photovoltaïque n’est pas produite en fonction des besoins et bénéficie d’une priorité à l’injection. Toute production excédentaire par rapport aux besoins des consommateurs a un effet dévastateur sur le niveau des prix de l’électricité sur les marchés européens.
- L’encouragement est totalement inefficace, car le producteur n’a pas à se soucier du coût, de la demande et de la commercialisation. Cela a pour effet, par exemple, que lorsqu’un parc éolien doit être arrêté pour cause de surproduction, l’exploitant obtient le remboursement de 95% des pertes de recettes. Cela signifie que le consommateur final paye également pour que de l’électricité ne soit pas produite.
- Aux côtés des énergies renouvelables, il est nécessaire de disposer en parallèle d’un parc basé sur les énergies fossiles de taille équivalente en tant que système de secours. Pendant les périodes de vent ou d’ensoleillement faibles, des centrales conventionnelles doivent en effet remplacer la production renouvelable alors manquante. Ces centrales « bouche-trous », ne peuvent atteindre l’équilibre économique en raison du peu d’heures d’exploitation. Elles sont indemnisées pour leur disponibilité, si elles sont considérées comme importantes pour le système. Ces coûts incombent également au consommateur final.
Pour résumer, le subventionnement de l’électricité provenant des nouveaux renouvelables en Allemagne est tout sauf rentable. Il pénalise d’’autres agents énergétiques et n’a aucun effet positif sur la protection du climat.
Qu’est-ce que cela signifie pour la Suisse?
La Suisse doit se garder de reproduire ces erreurs. Contrairement à l’Allemagne, la Suisse ne possède pas de ressources en charbon et n’a donc que peu de possibilités pour remplacer l’énergie nucléaire. Compenser l’électricité d’origine nucléaire par de l’électricité issue de nouvelles centrales à gaz supposerait des conditions-cadres propices à une production d’électricité rentable à partir du gaz. Une autre possibilité, serait que notre nouvelle orientation stratégique repose sur l’importation d’électricité. Cela présente toutefois des inconvénients: notre dépendance énergétique vis-à-vis de l’étranger augmenterait encore davantage. Dans le même temps notre sécurité d’approvisionnement diminuerait et les émissions de CO2 progresseraient, même si nous les exportons à l’étranger. Tout cela impliquerait pour nous également d’énormes coûts supplémentaires. Tant qu’il y aura suffisamment d’électricité sur le marché européen, les principaux inconvénients de notre «tournant» s’arrêteront là. Mais que se passera-t-il quand le marché européen connaîtra des difficultés d’approvisionnement? La Suisse ne pourra réellement assurer les importations nécessaires qu’en adoptant l’accord avec l’UE, et ses exigences institutionnelles.
La Suisse ne doit pas remplacer un système d’approvisionnement en électricité de très bonne qualité et sûr par un système aléatoire et inefficace. L’Allemagne n’est décidément pas un modèle à suivre dans ce domaine.