L’énergie hydraulique a rapidement besoin de nouvelles conditions-cadres

Alors que le monde politique suisse se focalise sur l’augmentation de production d’électricité hydraulique, les installations existantes connaissent une situation de plus en plus difficile. Leur maintien, essentiel pour la stratégie 2050, représente un défi considérable. Des solutions politiques rapides sont nécessaires. Les mesures décidées par le Conseil national en session d’hiver 2014 ne suffiront pas à maintenir à flot l’énergie hydraulique.

Pour réaliser la Stratégie énergétique 2050, une augmentation de 3,1 TWh de l’électricité hydraulique a été prévue. En réalité, la production d’électricité connaît aujourd’hui une offre excédentaire qui ne va pas se résorber à moyen terme. Augmenter l’offre, même d’une électricité propre comme l’hydraulique, n’est donc pas d’actualité. Plutôt que de rêver d’augmentation, les élus devraient d’abord s’intéresser à maintenir l’énergie hydraulique existante dont la rentabilité continue à se détériorer. Or, elle représente 36 TWh, soit 58 % de la production d’électricité totale suisse. Au vu de son importance, il est impératif de définir rapidement de nouvelles conditions-cadres pour l’énergie hydraulique existante, source d’énergie renouvelable la plus importante de Suisse.

Une situation de plus en plus difficile

Pendant des dizaines d’années, la force hydraulique fut l’épine dorsale de notre production d’électricité et fit ainsi gagner beaucoup d’argent à la Suisse. Aujourd’hui les prix de l’électricité ont atteint leur plus bas niveau. Le prix du marché est passé de 12 cts/KWh en 2008 à 5,5 cts/KWh en 2013. En 2014, il a encore chuté de 20 % à 4,5 cts/KWh et en 2015, avec l’abolition du taux plancher de l’euro, il a encore perdu 17 % pour se situer à 3,8 cts /KWh. Un prix de l’électricité aussi bas entraîne notre force hydraulique dans une situation très difficile et met sa rentabilité en danger.

Cette conjoncture s’explique par les facteurs suivants :

  • Les prix à terme négociés pour 2020 se situent autour de 3,5 centimes d’Euros/KWh. Aucune amélioration n’est en vue, même à moyen terme.
  • Du fait du bas niveau de prix du charbon importé des USA et des certificats de CO2 très bon marché, les centrales à charbon produisent moins cher que les centrales hydrauliques
  • Dans le contexte actuel d’offre excédentaire, les technologies renouvelables subventionnées (photovoltaïque, éolien) bénéficient toujours d’une priorité d’injection et évincent ainsi l’énergie hydraulique du marché.
  • La redevance hydraulique, ajoutée aux autres impôts et taxes, augmente le prix d’environ 1,5 ct./kWh, ce qui dégrade encore davantage la compétitivité de l’hydraulique par rapport aux autres technologies.
  • La hausse constante du nombre d’exigences légales occasionne des coûts supplémentaires (p. ex. les dispositions relatives aux débits résiduels).
  • Suite à l’abolition du taux plancher de l’euro, l’électricité importée d’Allemagne est devenue encore moins chère et la pression exercée sur la force hydraulique encore plus forte.

Rien n’ayant été entrepris pour améliorer les conditions-cadres actuelles, les coûts de revient de l’électricité d’origine hydraulique sont supérieurs aux prix du marché. Les profits d’autrefois se transforment en pertes. Aucun investissement important n’est engagé dans l’entretien et le renouvellement, ce qui, en définitive, menace la sécurité d’approvisionnement et détruit la richesse nationale. La Suisse n’a pas d’influence directe sur un certain nombre des facteurs évoqués. Elle peut toutefois agir de sa propre initiative sur les coûts et ainsi améliorer cette situation.

La décision du Conseil national

Lors de la session d’hiver 2014, le Conseil national s’est prononcé en faveur d’une contribution unique à l’investissement destinée aux grandes centrales hydrauliques. D’un montant de 600 millions de francs, cette somme doit être consacrée au cours des 20 prochaines années à de nouvelles constructions ainsi qu’à des extensions massives d’installations existantes. Elle doit permettre une production supplémentaire de 2 TWh. Les centrales de pompage-turbinage ne sont pas concernées par ces investissements, bien qu’elles aient été considérées comme importantes dans le message du Conseil national. Si ces contributions constituent une mesure de soutien, elles ne règlent en rien les problèmes actuels de l’énergie hydraulique. Lors du Congrès de l’électricité 2015, Jasmin Staiblin, directrice générale d’Alpiq, a parlé à ce sujet d’une «goutte d’eau dans l’océan».

En quête de solutions

Des solutions politiques doivent être envisagées pour parer à cette situation. Voici quelques mesures qui pourraient constituer une partie de la solution. Elles peuvent être limitées dans le temps.

  • Avec les prix actuels du marché, des investissements dans l’entretien ne sont pas totalement garantis. Les contributions devraient donc être étendues à l’entretien des centrales hydrauliques existantes.
  • Les contributions ne devraient pas seulement être destinées à accroître la production mais aussi à augmenter le volume d’accumulation (pompage-turbinage).

Le système d’encouragement des énergies renouvelables (en particulier l’éolien et le photovoltaïque) devrait inciter les producteurs à fournir lorsqu’il y a une demande et être limité dans le temps. Cela éviterait d’aggraver le dommage causé à la force hydraulique.

  • Les centrales hydrauliques d’une puissance de plus de 10 MW pourraient elles aussi être intégrées au système d’encouragement des énergies renouvelables. Cela contribuerait à mettre toutes les technologies renouvelables sur un pied d’égalité.

Les producteurs paient une redevance sur l’eau, calculée sur la puissance de la centrale et non sur sa rentabilité.

  • Ce système devrait être modifié. Si le coût des redevances hydrauliques était plutôt négligeable par le passé, tel n’est plus le cas. Une partie de la solution pourrait consister par exemple :
  • à faire payer les redevances hydrauliques directement par les consommateurs d’électricité et non plus par les exploitants,
  • à ce que les cantons, conformément à leur compétence, renoncent à une hausse (possible sur le plan légal) des redevances hydrauliques.

Situation politique actuelle

En janvier 2015, le Grand Conseil du canton de Berne, un des principaux cantons hydrauliques, contre la volonté du gouvernement, a renoncé à une augmentation des redevances hydrauliques. Un exemple à suivre.

Parallèlement à cela, la Commission de l’énergie du Conseil des Etats (CEATE-E) examine la Stratégie énergétique 2050. L’énergie hydraulique sera un des thèmes centraux de ces discussions. Espérons que les décisions politiques arriveront à temps et seront à la hauteur des enjeux, soit le maintien de près de 60 % de notre production électrique.

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