Marché suisse de l’électricité : quelle réforme ?
Expert dans la prospective énergétique et environnementale ainsi que dans le design et la régulation des marchés électricité et carbone en Europe, M. FABIEN ROQUES, était l’orateur de la sixième édition de la Journée de l’Energie à la Foire du Valais. Professeur Associé à l’Université Paris Dauphine, il a présenté les solutions qu’il préconise en vue d’améliorer le marché de l’électricité européen et suisse.
La Stratégie énergétique 2050 ne pourra assurer à elle seule l’avenir énergétique de la Suisse. Le paquet de mesures adopté par le Parlement cet automne représente un premier pas qui en appelle d’autres. Dans le système actuel, il sera impossible d’atteindre les valeurs indicatives fixées par le Parlement en matière de développement des nouvelles énergies renouvelables et d’efficience énergétique. D’où la nécessité de réfléchir à de nouveaux modèles plus en phase avec les mutations subies par le marché suisse, européen et mondial de l’électricité ces dernières années. Le Professeur Roques, grâce à sa connaissance très vaste des marchés de l’électricité à travers le monde, a ouvert des pistes de réflexion très intéressantes pour notre pays.
Des marchés dépassés
Un premier constat s’impose : les marchés fondés essentiellement dans les années 90 sur le court terme ne sont plus adaptés. Malgré divers ajustements récents, ils ne répondent plus aux nouveaux défis de la sécurité d’approvisionnement et de la décarbonisation. Deux challenges qui, s’ils entendent être relevés, imposent des visions à long terme. Et il faut non plus tellement viser l’optimisation des infrastructures existantes mais bien l’innovation, l’amélioration.
En l’espace de 15 ans, le contexte dans lequel ces marchés ont été créés a complètement changé tant d’un point de vue politique, financier que technologique. Dans les années 1990–2000, l’importance de la sécurité d’approvisionnement et de la réduction des gaz à effet de serre était encore minime, l’intégration des marchés européens ayant la priorité. La problématique du financement des investissements nécessaires dans des moyens de production décarbonés n’avait évidemment pas cours ; il s’agissait d’abord d’encourager la concurrence.
Pour la Suisse, qui ambitionne de sortir du nucléaire et fait le pari des énergies renouvelables pour le remplacer, la question de ce financement se pose. L’éolien, le photovoltaïque ou l’hydraulique ont un point commun : ce sont toutes des technologies dont la part d’investissement initial dans le coût total est prépondérante. D’où l’importance d’une structure de marché visant le long terme, seule à même de garantir que ce genre d’installations puissent jouer le rôle de clef de voûte du futur système énergétique suisse.
Des solutions à l’international
Les marchés de l’électricité européens doivent se réformer et des pistes de solutions existent à l’international. Plusieurs Etats des Etats-Unis ainsi que des pays sud-américains comme le Pérou, la Colombie, le Chili ou le Brésil qui avaient ouvert leur marché d’électricité en sont revenus. Ils ont en effet dû constater que l’ouverture totale du marché entraînait des conditions telles que les entreprises n’étaient plus en mesure, ou à tout le moins n’étaient pas incitées à opérer les investissements nécessaires au renouvellement des infrastructures. Résultat : des coupures de courant massives, des faillites et de graves perturbations. La plupart de ces Etats sont revenus au début des années 2000 à un marché hybride, un système mixte, avec des éléments de concurrence et une part de régulation.
Tout comme la Suisse, des pays/Etats comme le Québec, l’Ontario, le Brésil ou le Chili sont dotés de sources d’énergie hydraulique importantes. Ils ont tous la particularité d’avoir d’une part un marché sur le court terme afin de valoriser la flexibilité liée à l’hydraulique notamment. Des mécanismes incluant des contrats de fourniture à long terme ou des primes qui permettent de sécuriser les investissements sur le long terme y ont d’autre part parallèlement été mis en place.
Ce foisonnement d’idées à l’international peut contribuer à résoudre les problèmes des marchés européens car il incite à repenser notre conception de la concurrence.
La concurrence en deux temps : modèle à suivre ?
La seule concurrence à court terme ne semble plus être en adéquation avec les conditions actuelles du marché. Afin de favoriser l’implantation de technologies très intensives en capitaux, on peut imaginer une concurrence en deux phases : une phase préalable de concurrence sur la décision d’investissement. En quelque sorte un concurrence pour le marché.
Puis une seconde phase de concurrence dans le marché. La première étape soutient la décision d’investissement par le biais de mécanismes permettant de partager les risques sur le long terme. Plus concrètement, dans le cas du financement d’une nouvelle centrale hydraulique, des contrats permettant de couvrir la différence entre prix de revient et prix de marché (Contract for Difference) ou des contrats de capacités qui rétribuent la mise à disposition d’un aménagement de production sont mis en place afin d’assurer la pérennité de l’investissement. Dans un second temps, l’électricité produite par l’installation est vendue sur un marché ouvert à la concurrence des autres producteurs. L’Europe s’est récemment ouverte à ce type de contrats à long terme à l’occasion de la construction de nouveaux réacteurs EPR à Hinkley Point (Grande Bretagne). Un contrat de rachat de l’électricité à prix garanti pour une durée de 35 ans a en effet été avalisé par la Commission européenne dans ce cadre.
La chance de la Suisse : un marché semi ouvert
Contrairement à l’Europe, la Suisse a fait le choix de ne pas complètement ouvrir son marché. Grâce à sa plus grande flexibilité, le modèle hybride helvétique pourrait constituer un avantage. Un exemple : la mise en oeuvre de la concurrence en deux temps est facilitée dans le cas où, comme en Suisse, le marché se compose notamment de clients captifs. Il est par exemple possible de signer des contrats sur le long terme entre les producteurs d’électricité et les consommateurs captifs pour financer les investissements nécessaires. Cela permettrait aux producteurs d’électricité renouvelables de garantir sur la durée le financement de l’outil de production. Qu’il s’agisse de centrales hydrauliques, photovoltaïques ou éoliennes ou autres à inventer. Plusieurs voies réglementaires et juridiques sont possibles afin d’introduire ce type de modèle qui représenterait une avancée. L’ensemble des acteurs doit maintenant s’associer pour trouver le design de marché répondant au mieux à la problématique de financement tant de la sécurité d’approvisionnement que de la transition énergétique.