Prévision à long terme : du mythe à la dure réalité
Demande mondiale en berne, explosion de la production de pétrole : le «pic pétrolier» (ou «peak oil») semble bien loin. Stratégie 2050, tout a déjà changé. La faute aux nombreux impondérables difficiles à intégrer dans une théorie sur le long terme.
«Dans 50 ans les réserves de pétroles seront épuisées ! Il faut au plus vite se préparer à la fin du pétrole !». Prévisionnistes de tous bords annonçaient une pénurie prochaine et les crises qui l’accompagneraient tant au niveau économique, social que géopolitique. Ces alertes et prévisions catastrophistes sont revenues régulièrement en «une» de la presse. Sur toutes les lèvres il y a encore peu de temps, le «peak oil» n’a plus cours aujourd’hui. Le pic pétrolier, moment où la production mondiale de pétrole devrait plafonner puis décliner, est régulièrement repoussé dans le temps.
La faute à une réalité toujours plus complexe que les prévisions sur le très long terme. Difficile en effet de tenir compte sur une si longue période de certaines évolutions technologiques, économiques et géopolitiques.
Du «pas assez» au «beaucoup trop»
Du «pas assez», nous sommes passés au «beaucoup trop». Entre 1980 et 2014, l’estimation des réserves prouvées de pétrole est en effet passée de 643 milliards de barils à 1,655 milliards1. La production mondiale persiste à augmenter. Grâce à la nouvelle technologie de fracturation hydraulique, les États-Unis et le Canada produisent maintenant du pétrole de schiste en grande quantité. Divers États, comme la Russie, contribuent également à augmenter de manière massive l’offre d’or noir. Autre paramètre difficile à prévoir: l’attitude de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP). En décembre 2014, alors qu’elle contribuait généralement à réguler l’offre en pétrole, l’OPEP a surpris en décidant de ne pas diminuer sa production à un moment où le marché était déjà saturé. Une tactique, selon l’avis de certains spécialistes, visant à affaiblir les producteurs de pétrole non conventionnel.
La demande en pétrole a également subi des bouleversements peu concevables il y a peu. L’économie de la Chine, récemment encore championne de la croissance mondiale et premier acheteur d’or noir, tourne depuis peu au ralenti. Tel est également le cas de l’Europe, des Etats-Unis ou de pays émergents comme le Brésil. Conséquence: la demande mondiale en pétrole baisse.
À cela s’ajoute l’électrification toujours plus importante de certains secteurs jusqu’alors grands consommateurs de ce combustible. Celui des transports, par exemple, où l’on constate une augmentation progressive de véhicules électriques ou hybrides.
Le cours du baril subit évidemment cette évolution de l’offre et de la demande. Depuis fin 2014, le pétrole a perdu pas moins de 75 % de sa valeur.
La stratégie énergétique 2050 déjà caduque ?
L’élaboration de théories aussi «long-termistes» comprend une grande part d’impondérables. Que dire dès lors de la Stratégie énergétique 2050 de la Suisse ? Imaginée dans un contexte de pénurie programmée il y a cinq ans seulement, la situation a déjà complètement changé, l’offre est devenue excédentaire et le prix de l’électricité a chuté par la conjugaison de divers phénomènes : subventionnement, massif par l’Allemagne, et par d’autres pays – dont la Suisse – des nouvelles énergies renouvelables, ralentissement économique en Europe, faible coût du charbon et du pétrole. Résultat : l’électricité renouvelable par excellence et qui assure 60 % de notre approvisionnement, l’hydroélectricité, se retrouve à genou. Qui souhaitera encore investir dans cette énergie renouvelable devenue non rentable, et pourtant nécessaire à la transition énergétique du pays? Question à quelques milliards qui cherche preneur.
1 Nicolette De Joncaire, « L’équation énergétique est bien difficile à résoudre », L’AGEFI, 30.11.15, p.12.